[Jugement de divorce; appel de l’épouse en ce qui concerne son entretien. Par appel joint, l’époux demande la réduction de l’indemnité qu’il doit selon l’art. 124e CC. Dans sa réponse à l’appel joint, l’épouse conclut à l’augmentation de cette indemnité] Dans son appel, l’épouse n’a pas contesté le montant de l’indemnité allouée par le premier juge. Ce n’est qu’après l’appel joint de son mari qu’elle en a requis l’augmentation. Elle a ainsi amplifié ses conclusions d’appel après la fin du délai d’appel. En donnant suite à sa conclusion, l’instance précédente a en définitive admis un appel joint sur l’appel joint, qui est prohibé (ATF 141 III 302 c. 2.4 et réf.), dès lors qu’en appel, la maxime d’office n’est pas applicable au partage de la prévoyance (TF 5A_631/2018 du 15.2.2019 c. 3.2.2 et réf.; 5A_862/2012 du 30.5.2013 c. 5.3.3, SJ 2014 I 77 s.; 5A_796/2011 du 5.4.2012 c. 5.3 et réf.; cf. ég. ATF 129 III 481 c. 3.3), de sorte que l’interdiction de la reformatio in pejus est applicable (TF 5A_478/2016 du 10.3.2017 c. 10.1 i.f. et réf.).
2020-N5 Modification des conclusions en appel et interdiction de la reformatio in pejus
Note F. Bastons Bulletti
1 Dans le cadre d’une procédure de divorce, l’épouse fait appel de la décision du tribunal en ce qui concerne un montant qu’elle doit rembourser à son mari, ainsi que le capital fixé pour son entretien. L’époux, qui n’a lui-même pas interjeté appel, conclut au rejet de l’appel et introduit un appel joint ; il y conclut notamment à la réduction de l’indemnité qu’il doit verser à l’épouse selon l’art. 124e CC. Dans sa réponse à l’appel joint, l’épouse demande alors une augmentation de dite indemnité. L’Obergericht admet partiellement l’appel principal et rejette l’appel joint. Il augmente en outre l’indemnité selon l’art. 124e CC dans la mesure requise par l’épouse. L’époux recourt au TF, qui annule la décision d’augmentation de l’indemnité. Le TF retient (en appliquant le droit d’office, art. 106 al. 1 LTF) que sur une question régie en appel par la maxime de disposition, l’appelante, qui n’a pas appelé à temps de la décision à cet égard, ne pouvait plus conclure qu’au rejet de l’appel joint et que l’augmentation prononcée viole l’interdiction de la reformatio in pejus.
2 Sous réserve d’un appel joint (art. 313 CPC), d’une part, les points du jugement non contestés par l’appelant principal entrent en force (art. 315 al. 1 CPC) ; d’autre part, le juge d’appel est lié par les conclusions de l’appelant : il ne peut lui allouer moins que ce que le tribunal lui a accordé, ou le condamner à plus que ce à quoi le tribunal l’a condamné. Il s’agit là de l’interdiction de la reformatio in pejus (cf. notes sous art. 58 al. 1, D. et sous art. 318 al. 1 lit. a et b, B.). Il en va autrement en cas d’appel joint : dans la mesure des conclusions qui y sont prises (qui peuvent concerner le même objet que l’appel principal, ou un autre point du jugement, cf. notes sous art. 313 al. 1, not. ATF 138 III 788 c. 4.4), la décision attaquée peut encore être réformée au détriment de l’appelant principal. Il est ainsi fait échec à l’interdiction de la reformatio in pejus. Il en va de même – même sans appel joint – lorsque la maxime d’office (art. 58 al. 2 CPC) est applicable à la cause: en ce cas en effet, le juge d’appel, comme le premier juge, n’est pas lié par les conclusions des parties. Une reformatio in pejus est dès lors possible (cf. notes sous art. 317 al. 2, not. TF 5A_288/2019 du 16.8.2019 c. 5.4).
3 En revanche, comme le précise le TF, l’appel joint sur l’appel joint n’est pas admis. Après l’expiration des délais d’appel et d’appel joint (ce dernier devant être introduit au plus tard avec la réponse à l’appel, cf. ATF 143 III 153 c. 4.4, note sous art. 313 al. 1), la décision entre en force sur tous les points qui n’ont pas été contestés (art. 315 al. 1 CPC) ; ceux-ci ne peuvent ainsi plus être remis en cause. Le juge ne peut statuer que dans les limites tracées par les conclusions de l’appel et de l’appel joint. Dès lors, l’appelant principal peut exclusivement répondre à l’appel joint et tout au plus, conclure à son rejet ou à son irrecevabilité, mais plus à une réforme qu’il n’a pas demandée à temps, dans son appel principal.
4 Il faut relever que la situation aurait été différente si au lieu de se contenter de répondre à l’appel principal et de former un appel joint, le mari avait lui aussi introduit, à temps, un appel principal. En ce cas, selon la jurisprudence (ATF 141 III 302 c. 2.3, note sous art. 313 al. 1), l’épouse appelante aurait pu encore former un appel joint sur l’appel principal du mari et y conclure à l’augmentation de l’indemnité en cause, bien qu’elle ait elle-même déjà introduit appel principal sans contester ce point. En revanche, passé le délai d’appel et sans possibilité d’introduire un appel joint, elle ne pouvait plus augmenter de la sorte ses conclusions.
5 L’arrêt ne mentionne cependant pas – sans doute parce qu’il paraissait évident que les conditions n’étaient pas réunies, et que les parties n’avaient pas discuté cette question – que l’appelant ou l’appelant joint peuvent encore modifier leurs propres conclusions, même après la fin des délais d’appel et d’appel joint, aux conditions – certes restrictives – de l’art. 317 al. 2 CPC. En effet, de même qu’un plaideur peut encore introduire des nova, aux conditions de l’art. 317 al. 1 CPC, après la fin du délai d’appel, voire après la fin de l’échange d’écritures en appel (v. notes sous art. 317 al. 1, A.b., en part. ATF 142 III 413), il peut aussi modifier sa demande, sur les points qui ne sont pas déjà entrés en force (art. 315 al. 1 CPC), aussi longtemps que la phase de délibérations du tribunal d’appel n’a pas commencé : il ne ferait pas de sens qu’il puisse encore introduire des nova, mais qu’il ne puisse pas en tirer les conséquences dans ses conclusions. On peut dès lors se demander comment cette possibilité – certes limitée – de modification s’harmonise, après la fin des délais d’appel et d’appel joint, avec l’interdiction de la reformatio in pejus dont bénéficie la partie adverse qui a formé appel (principal ou joint).
6 L’art. 317 al. 2 CPC (lit. b) exige, d’une part, que la modification repose sur des nova admissibles selon l’art. 317 al. 1 CPC – condition qui déjà, n’était probablement pas remplie en l’espèce ; du moins l’arrêt n’en fait pas état. D’autre part, il exige aussi (lit. a) que la modification satisfasse aux conditions d’une modification de la demande, selon l’art. 227 al. 1 CPC. Cela implique, d’une part, que les conclusions nouvelles ou modifiées soient soumises à la même procédure que les précédentes (art. 227 al. 1 CPC). Il faut à cet égard se fonder sur le type de procédure mené en première instance, dont les principes et maximes continuent d’être applicables en appel. D’autre part, il faut aussi que les conclusions modifiées présentent un lien de connexité avec les conclusions précédentes, à moins que la partie adverse ne consente à la modification (art. 227 al. 1 lit. a et b CPC). Le lien de connexité s’entend non pas avec l’objet du litige tranché en première instance, mais avec ce qui demeure litigieux en appel (TC/FR du 18.10.2019 [101 2017 308] c. 2.1.2 et réf., note sous art. 317 al. 2, F,). En soi, cette condition est aussi remplie lorsqu’un plaideur modifie ses conclusions sur un point du jugement que la partie adverse a contesté en appel (joint). Le TF a cependant jugé qu’en appel, le plaideur qui n’a lui-même introduit ni appel, ni appel joint, ne peut ensuite conclure à la modification du jugement, en sa faveur, sur un point que seul l’appelant a contesté, et ce même s’il survient des faits nouveaux ; sinon, l’interdiction de la reformatio in pejus serait contournée (TF 5A_386/2014, 5A_434/2014 du 1.12.2014 c. 6, note sous art. 317 al. 2, F.). Le TF précise ici, implicitement mais logiquement, qu’il en va de même lorsque ce plaideur a certes lui-même introduit appel, mais que le point sur lequel il modifie ses conclusions n’a été remis en cause que par la partie adverse, par appel joint. L’interdiction de la reformatio in pejus dont bénéficie l’appelant (joint) limite ainsi les possibilités de sa partie adverse de modifier sa demande après l’expiration du délai d’appel (joint).
7 En résumé : passé le délai d’appel (joint), seul le plaideur qui a introduit un appel (principal, ou joint) peut encore modifier sa demande – aux conditions de l’art. 317 al. 2 CPC, soit notamment, s’il survient des nova – et ce uniquement sur les points qu’il a lui-même déjà remis en cause. Il n’en va autrement que s’il restreint sa demande, sur un point qui n’est pas déjà entré en force (une restriction étant toujours recevable, en tout cas jusqu’au début des délibérations ; cf. TF 5A_456/2016 du 28.10.2016 c. 4.2.2, note sous art. 317 al. 2, E.), ou si sur ce point, la maxime d’office (art. 58 al. 2 CPC) est applicable : dans le premier cas, toute reformatio in pejus au détriment de la partie adverse est exclue; dans le second cas, cette reformatio n’est pas interdite.
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2020-N5, n°…