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Moyen de preuve survenu après un jugement définitif : nouvelle action, révision, ou ni l’une ni l’autre ?

TF 4A_563/2017* du 19.2.2019  c. 5.2 – 5.4

Art. 87, art. 59 al. 2 lit. e, art. 328 al. 1 lit. a - BAIL - REJET DEFINITIF D’UNE ACTION EN ANNULATION DU CONGE – PORTEE DE L’AUTORITE DE CHOSE JUGEE – CONSEQUENCES SUR UNE ACTION ULTERIEURE EN DOMMAGES INTERETS DE LA PARTIE SUCCOMBANTE

L’action en annulation du congé (art. 271 s. CO) est une action formatrice au sens de l’art. 87 CPC (ATF 140 III 598 c. 3 ; TF 4A_689/2016 du 28.8.2017 c. 4.1). (…) Il est exposé, en doctrine, que le rejet d’une action formatrice signifie que « l’inexistence d’un motif formateur est constatée » et que ce constat entre en force. Rapporté à l’action en annulation selon l’art. 271 s. CO, cela signifie que par le rejet de la demande, l’existence d’un motif d’annulation est niée avec effet de chose jugée et que cette question ne peut plus être tranchée à nouveau dans un procès ultérieur. Dans cette mesure, la situation est comparable au rejet d’une demande en interdiction d’un comportement illicite. A cet égard, il est indiqué en doctrine que le rejet de la demande en interdiction implique le constat que le comportement à interdire est permis. Ce constat lie le tribunal qui dans un procès relatif à des prétentions en réparation, doit décider (à titre préjudiciel) si le comportement est admissible. (E. 5.3) Le constat exprès, dans le dispositif, que „le congé du […] n’est pas abusif“ lie le tribunal dans un second procès, lorsque dans le cadre d’une action en dommages-intérêts, il est de nouveau allégué que le congé est contraire à la bonne foi. (c. 5.4) L’autorité de chose jugée de la décision, qui interdit qu’il soit statué à nouveau sur le congé, ne pourrait être écartée qu’au moyen d’une révision formelle selon les art. 328-333 CPC. Certes l’intérêt digne de protection (art. 59 al. 2 lit. a CPC) à la procédure de révision fait-il défaut lorsque des motifs de fait ou de droit excluent une modification de la situation juridique telle qu’elle a été aménagée par la décision attaquée (ATF 114 III 189 c. 2 ; v. ég. TF 4F_3/2007 du 27.6.2007 c. 2.3). Toutefois, l’admission d’une demande de révision ne doit pas forcément avoir pour conséquence que le tribunal prononce une nouvelle décision sur le fond. Au contraire, selon les circonstances, un autre mode de liquidation du procès est envisageable, p.ex. une décision d’irrecevabilité. Même une telle modification peut fonder un intérêt digne de protection à la révision, ne serait-ce qu’au regard de la répartition des frais de la procédure.

2019-N12 Moyen de preuve survenu après un jugement définitif : nouvelle action, révision, ou ni l’une ni l’autre ?
Note F. Bastons Bulletti


1 Un bailleur résilie le bail, en faisant valoir des besoins personnels. La locataire conteste en vain la résiliation, en soutenant que le motif indiqué est un prétexte et que le bailleur cherche en réalité à relouer le logement pour un prix plus élevé : le bailleur s’oppose à une proposition de jugement de l’autorité de conciliation, puis obtient du tribunal des baux le constat que le congé n’est pas abusif; cette décision entre en force. Quelques mois après avoir déménagé, l’ex-locataire ouvre une action en dommages-intérêts contre le bailleur. Elle allègue avoir découvert, après son départ, que le logement est offert à bail sur internet pour un loyer supérieur au précédent. Le tribunal des baux et l’Obergericht admettent partiellement sa demande. Le bailleur recourt au TF, qui admet le recours.

2 Dans son arrêt, destiné à la publication, le TF rappelle d’abord les principes en matière de contestation du congé donné par le bailleur: la preuve que le congé est abusif incombe au locataire. Le caractère abusif du congé se détermine par rapport au moment où celui-ci est communiqué ; si le motif du congé disparaît par la suite, la résiliation ne devient pas abusive (c. 3.1 et réf.). Si le congé est reconnu abusif, le locataire ne peut en principe obtenir que la continuation du bail, la loi ne prévoyant pas l’octroi de dommages-intérêts ; certains auteurs sont toutefois d’avis que dans certaines circonstances, le locataire pourrait avoir une prétention en indemnisation, fondée sur la violation du contrat (art. 97 CO) ou l’acte illicite (41 CO). C’est ainsi que l’Obergericht a retenu une responsabilité contractuelle : « en appréciant toutes les circonstances dans le contexte de la procédure de protection contre les congés et celles qui ont été connues après son achèvement », il a retenu que le motif invoqué par le bailleur était déjà un prétexte au moment du congé.

3 Lorsque le locataire ne découvre qu’après son départ que le motif de congé indiqué était un prétexte, le bail a déjà pris fin et il ne peut plus être maintenu. Le TF laisse ici ouverte la question de savoir si l’ex-locataire peut alors réclamer des dommages-intérêts, en relevant que la doctrine qui préconise cette action ne se prononce pas sur le cas où comme en l’espèce, le locataire a déjà vainement contesté le congé au sens des art. 271 s. CO. 

4 Dans ce cas en effet, il existe une décision entrée en force, qui a autorité de chose jugée : non seulement cette autorité empêche un nouveau jugement sur le même objet entre les mêmes parties (effet négatif de l’autorité de chose jugée, « ne bis in idem », cf. notes sous art. 59 al. 2 lit. e), mais elle lie le juge qui dans un procès ultérieur, devrait statuer à titre préjudiciel sur ce qui a déjà été constaté dans le dispositif (effet positif de l’autorité de chose jugée, « ne aliter in idem », cf. notes ibidem). L’autorité de chose jugée produit en outre un effet dit préclusif (càd. de forclusion), en ce sens qu’elle exclut l’allégation de tous les faits, qu’ils aient ou non été invoqués ou même connus, qui existaient déjà au moment de la décision et se rattachent naturellement à la prétention déjà soumise au tribunal (cf. notes ibidem, en part.  ATF 116 II 738 c. 2b ; ATF 105 II 268 c. 2 ; ATF 139 III 126 c. 3.1). En conséquence, une nouvelle action, entre les mêmes parties, dont les conclusions ne portent pas sur le même objet, mais qui implique un réexamen à titre préjudiciel du constat opéré dans le dispositif, ne peut aboutir que si elle repose sur des faits qui se sont produits après la précédente décision (vrais nova, cf. c. 5.1 de l’arrêt ; ég. newsletter du 21.3.2018 ad arrêt TF 4A_292/2017 du 29.1. 2018 c. 3.1). 

5 Tel n’est pas le cas lorsque dans le second procès, le demandeur réclame des dommages-intérêts en alléguant le comportement frauduleux de la partie adverse dans le premier procès : ce comportement s’est forcément produit avant le jugement, même s’il n’a été découvert qu’après ; il constitue donc un pseudo nova. Dès lors, même si l’objet du second procès n’est pas le même que le premier – la prétention réclamée, soit des dommages-intérêts, est différente -, l’effet positif de l’autorité de chose jugé du premier jugement interdit au second juge de réexaminer la question jugée. Il ne peut dès lors pas admettre la nouvelle demande, dans la mesure où celle-ci suppose un constat divergent de celui déjà opéré. 

6 Ainsi, si un jugement définitif condamne à un paiement ou à remettre une chose, il est définitivement constaté que le défendeur doit ce montant  ou la remise de la chose. Ce défendeur ne peut pas, ensuite, agir en dommages-intérêts ou en enrichissement illégitime contre la partie adverse, pour récupérer ce qu’il a versé ou remis, même s’il prouve qu’en réalité, il ne devait pas la prestation en cause: en effet, ce constat préjudiciel contredirait de manière inadmissible le constat résultant de la décision précédente (cf. notes sous art. 59 al. 2 lit. e, Effet positif de l’autorité de chose jugée, en part. ATF 139 I 126 c. 4.2-4.4 ; 127 III 496 c. 3 ; TF 4A_292/2017 du 29.1.2018 c. 3.1, note in newsletter du 21.03.2018). En revanche, sur la base d’un fait survenu après (vrai nova), il pourrait au besoin faire constater qu’il ne doit plus la prestation en cause – p.ex. l’obligation est depuis lors prescrite, cf. art. 81 al. 1 LP ou art. 341 al. 3, resp. art. 337 al. 2  CPC. 

7 La situation est un peu plus délicate lorsque le premier jugement rejette une demande, car ce que le tribunal a ainsi définitivement constaté n’est pas toujours évident (p.ex. sur le rejet d’une action en constat négatif d’une créance, cf. TF 4A_24/2018 du 15.6.2018 c. 3.4 – 3.6, note sous art. 88, B. et in newsletter du 23.8.2018). Le TF précise ici (c. 5.2) que lorsqu’une décision a rejeté une action formatrice (art. 87 CPC) – telle l’action en contestation du congé en droit du bail, qui tend à l’annulation de ce congé –, ou une action en interdiction d’un comportement, ce rejet signifie le constat qu’il n’existe pas de motif de créer, modifier ou dissoudre le droit ou le rapport de droit en cause, resp., que le comportement en cause est permis. Ce constat, qui lie le juge ultérieurement saisi de l’action en dommages-intérêts, implique que cas échéant, même un autre motif qui aurait fondé la prétention formatrice, ou en interdiction du comportement, ne peut plus être invoqué (effet de forclusion, v. N 4). Ainsi en l’espèce, il a été définitivement constaté qu’il n’y avait pas de motif d’annuler le congé – le dispositif constate même expressément que la résiliation n’est pas abusive -, de sorte que dans l’action en dommages-intérêts, le juge ne peut pas admettre le contraire, à titre préjudiciel, même sur la base d’une preuve nouvelle, dès lors que celle-ci se rapporte à un fait qui n’est pas un vrai nova ; la nouvelle action en réparation, basée sur la prémisse d’un congé abusif, se trouve ainsi privée de fondement (c. 5.3).

8 Pour écarter l’autorité de chose jugée du premier jugement, qui fait obstacle à l’action en réparation, il ne reste que la voie de la révision, selon les art. 328 ss CPC. Il se pose cependant la question de l’intérêt de l’ex-locataire à l’exercice de cette voie de droit (art. 59 al. 2 lit. a CPC): elle a quitté les locaux, de sorte que même si le principe de la révision était admis et la décision annulée (rescindant), elle n’aurait plus d’intérêt actuel à un nouveau jugement sur le fond (rescisoire, art. 333 al. 1 CPC) annulant le congé et maintenant le bail (cf. notes sous art. 59 al. 2 lit. a, 2.c., en part. TF 4D_79/2015 du 22.1.2016 c. 2.1). Le TF précise ici (c. 5.4) que la révision ne tend cependant pas forcément à une nouvelle décision sur le fond. Une décision d’irrecevabilité de la demande introduite par le bailleur – justifiée par la disparition ultérieure de l’intérêt à la contestation du congé – peut aussi intervenir, et peut présenter un intérêt suffisant, dans la mesure où le tribunal peut statuer à nouveau sur le sort des frais, dans un sens par hypothèse favorable, cette fois, à la locataire. Sous cet aspect, une révision n’était donc pas exclue.

9 Tant en ce qui concerne l’autorité de la chose jugée que l’intérêt à la révision, la décision nous semble convaincante. Dans la mesure où de toute manière, la locataire n’a pas demandé la révision, et où il est trop tard pour qu’elle le fasse (art. 329 al. 1 CPC), il n’était pas nécessaire d’examiner les autres conditions de celle-ci. C’est pourtant là que le bât blesse.

10  En l’espèce, la demande de révision n’aurait pu être fondée que sur le motif tiré de l’art. 328 al. 1 lit. a – une procédure pénale contre le fils du bailleur, témoin au premier procès, s’est semble-t-il achevée par un non-lieu excluant d’invoquer l’art. 328 al. 1 lit. b CPC -, singulièrement sur la découverte d’un moyen de preuve – l’annonce parue sur internet – véritablement nouveau (vrai nova), même s’il était apte à établir rétrospectivement l’allégué présenté dans la première procédure, selon lequel le motif de congé donné était d’emblée un prétexte. Or selon la jurisprudence publiée et désormais constante du TF, un moyen de preuve survenu après la décision en cause (vrai nova) ne peut pas être invoqué dans une procédure de révision selon l’art. 328 al. 1 lit. a CPC. Seuls des pseudo nova excusables sont recevables ; les moyens de preuves postérieurs sont exclus, même s’ils permettent de prouver un fait antérieur déjà allégué (cf. notes sous art. 328 al. 1, C.a., en part. ATF  143 III 272 c. 2.2 ; ég. TF 5F_12/2018 du 18.9.2018 c. 4 ; TF 5A_474/2018 du 10.8.2018 c. 5.1 et 5.2 ; TF 4F_7/2018 du 23.7.2018 c. 2.3.3; TF 4F_18/2017 du 4.4.2018 c. 3.1.2 et 3.3). On ne voit dès lors pas comment, en l’espèce, la demanderesse aurait pu obtenir une révision.

11 Nous avons déjà exposé les motifs pour lesquels nous pensons qu’un moyen de preuve survenu après coup (vrai nova) devrait être assimilé à un pseudo nova et pouvoir permettre la révision (cf. not. newsletter du 8.6.2017 (i.f.) ad TF 4A_511/2016* du 2.5.2017 [ATF 143 III 272, concernant une demande de révision]  et newsletter du 21.3.2018 ad TF 4A_292/2017 du 21.9.2018 [concernant une nouvelle action, en restitution de l’enrichissement illégitime, introduite après échec d’une demande de révision]), du moins à deux conditions: (1) ce moyen de preuve sert à établir un fait déjà régulièrement allégué dans la première procédure, ou qui constitue lui-même un pseudo nova excusable  et (2) le plaideur n’aurait pas déjà pu se procurer ce moyen de preuve à temps, en cours de procédure, en faisant preuve de la diligence requise – cette condition n’est pas souvent réalisée, mais elle l’était p.ex. ici. 

12 Le refus de considérer dans ce cas un moyen de preuve nouveau comme un pseudo nova, dans le cadre d’une procédure de révision, est d’autant plus surprenant que dans la même situation, dans une procédure d’appel, le même moyen de preuve nouveau, destiné à prouver un fait qui n’est pas un vrai nova, est alors qualifié – à notre avis à juste titre – de pseudo nova (cf. notes sous art. 317 al. 1, A.a.b. et D., p.ex. TF 5A_24/2017 du 15.5.2017 c. 4, 4.3). Il est ainsi recevable, s’il est présenté sans délai et en outre, s’il ne pouvait être obtenu plus tôt (art. 317 al. 1 lit. a et b CPC) – alors que s’il était qualifié de vrai nova, seule la première condition s’appliquerait (art. 317 al. 1 lit. a CPC). La solution inverse, qui prévaut pour la révision, a pour conséquence que lorsqu’un moyen de preuve est découvert après coup, la recevabilité d’une demande de révision dépend dans une large mesure du hasard : s’il se trouve que ce moyen de preuve existait déjà au cours du premier procès, il constitue un pseudo nova qui s’il est excusable, permettra la révision ; s’il n’a surgi qu’après, la révision est exclue.

13 En définitive, lorsqu’elle a découvert la preuve d’une fraude, l’ex-locataire ne disposait d’emblée pas d’une nouvelle action (en dommages-intérêts), vouée à l’échec en raison de l’effet positif de l’autorité de chose jugée de la décision précédente, mais pas non plus de la possibilité de faire réviser cette décision. La sécurité du droit y gagne ce que la vérité matérielle et parfois, le sentiment de justice y perdent.

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N12, n…

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