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Action indépendante de l’enfant majeur – Solutions et incertitudes

OGer/BE du 30.10.2018 (ZK 17 340*) c. II.6.3 – II.6.8

Art. 295, 296 al. 1, 296 al. 3 - ACTION EN ENTRETIEN INDEPENDANTE DE L’ENFANT MAJEUR – PROCEDURE ET MAXIMES APPLICABLES

(c. II.6.3-II.6.6) Il résulte du Message que le législateur, en abrogeant les dispositions de procédure du CC et en les transposant dans le CPC, n’a pas voulu modifier la situation juridique. Pour la procédure applicable, il faut en déduire que l’art. 295 CPC est applicable tant à la procédure relative aux prétentions d’entretien d’enfants majeurs que d’enfants mineurs, dès lors que sous l’ancien droit déjà, une procédure simple et rapide s’appliquait aux litiges relatifs à l’entretien [v. art. 280 aCC]. Cette solution correspond aussi au sens et au but de la loi. (…) Il ne se justifie pas de traiter différemment une conclusion à cet égard, selon qu’une personne a ou non déjà (entièrement) accompli sa 18e année. Dès lors, la procédure simplifiée doit être appliquée aux procédures concernant l’entretien tant des enfants majeurs que des mineurs. La révision du CPC en cours prévoit en outre une clarification en ce sens. (c. II.6.7) L’application de la maxime de disposition, dans les actions indépendantes en entretien d’enfants majeurs (TF 5A_524/2017 du 9.10.2017 c. 3.1 av. réf. à ATF 118 II 93), doit être approuvée. En effet, dans les affaires concernant l’enfant mineur, la maxime d’office sert particulièrement la protection de celui-ci. Les mineurs sont représentés par des adultes. Pour protéger l’enfant qui n’a pas la capacité civile, une éventuelle convention doit ainsi être homologuée par l’autorité ou le tribunal (art. 287 al. 1 et 3 CC) – au contraire des conventions relatives à l’entretien du majeur. Il existe ainsi une certaine corrélation interne entre l’art. 287 al. 1 et 3 CC et l’art. 296 al. 2 CPC, alors qu’inversement, soumettre les actions en entretien d’enfants majeurs à la maxime d’office, sans réserver une homologation en cas de transaction, conduirait à une contradiction interne. Le champ d’application de l’art. 296 al. 3 CPC doit dès lors être restreint, par une interprétation téléologique, aux enfants mineurs. (c. II.6.8) Ni sous l’ancien droit, ni sous le droit actuel, il n’existe de jurisprudence claire du TF sur l’application de l’art. 296 al. 1 CPC au procès en entretien de l’enfant majeur. En doctrine, les avis sont partagés. Le rapport explicatif de la révision en cours du CPC, du 2.3.2018, énonce que la règle ne concerne que les actions des enfants mineurs, car eux seuls ont besoin d’une protection particulière. Dans les procès concernant l’entretien des majeurs, les allègements applicables à la procédure simplifiée suffiraient. L’avis selon lequel un enfant majeur n’a pas besoin d’une protection procédurale aussi étendue qu’un mineur est certes soutenable. L’enfant majeur a toutefois au moins autant besoin de protection qu’un locataire dans les procédures où la maxime inquisitoire simple est applicable (art. 243 al. 2 cum art. 247 al. 2 lit. a CPC), car ces procès doivent souvent être introduits peu après la majorité de l’enfant. L’application de la maxime des débats est en outre en contradiction avec les principes d’un procès social, dans lequel il s’agit de soutenir une partie qui tend à être en infériorité.  Il serait contradictoire de refuser cette protection au majeur économiquement plus faible, alors qu’elle est accordée au conjoint en procédure de mesures protectrices (art. 272 CPC). En conséquence, il se justifie d’appliquer la maxime inquisitoire limitée

2019-N11 Action indépendante de l’enfant majeur – Solutions et incertitudes
Note F. Bastons Bulletti


1 L’arrêt n’est pas le premier à traiter de l’action indépendante en entretien de l’enfant majeur (cf. notes sous art. 295, 296 al. 1 et 296 al. 3, en part. TF 5A_524/2017 du 9.10.2017 et OGer/ZH du 13.3.2018, PC180006-O/U, notes M. Heinzmann in newsletters des 18.01.2018 et 03.05.2018). S’il ne contribue certes pas à unifier une pratique disparate selon les cantons, faute de jurisprudence claire du TF, il a le mérite de se pencher sur chacune des trois questions de procédure que soulève cette action, à savoir la procédure applicable, la maxime applicable au prononcé et celle applicable au constat des faits.

2 Sur la procédure applicable, la question est de savoir si l’action indépendante de l’enfant majeur est ou non soumise à la procédure simplifiée, prévue par l’art. 295 CPC. Les juges bernois y répondent par l’affirmative. Cette solution n’est pas évidente: le TF n’a pas clairement tranché (l’ATF 139 III 368, qui écarte la procédure simplifiée selon l’art. 295 CPC, concerne l’action des proches selon l’art. 328 s. CC) ; la pratique zurichoise (OGer/ZH du 13.3.2018 précité) admet au contraire que la procédure ordinaire est applicable si la cause n’a pas de valeur litigieuse ou présente une valeur supérieure à 30’000 fr., ce qui est souvent le cas. La solution choisie ici emporte la conviction (cf. note M. Heinzmann précitée in newsletter du 03.05.2018); comme le souligne l’OGer, elle est retenue aussi dans l’avant-projet de révision du CPC du 2.3.2018 (ci après: AP CPC 2018; cf. art. 295 al. 2).

3 Il faut relever qu’en l’espèce, la cause portait non seulement sur une contribution d’entretien ordinaire, mais aussi sur une contribution extraordinaire au sens de l’art. 286 al. 3 CC. L’art. 302 al. 1 lit. b CPC prévoit sur ce point la procédure sommaire. L’OGer semble admettre, à notre avis à raison, que cette disposition n’est toutefois applicable que si la contribution extraordinaire est réclamée seule; sinon, dans une action indépendante la procédure simplifiée régit l’ensemble des prétentions (cf. ég. BSK ZPO-Moret/Steck art. 302 N 12; ZPO Komm-Schweighauser art. 302 N 16). L’art. 90 lit. b CPC ne peut ainsi pas faire obstacle à un cumul des prétentions en entretien et en entretien extraordinaire.

4 Dans les affaires du droit de la famille concernant les enfants, la maxime d’office est en principe applicable (art. 296 al. 3 CPC). Se référant à une jurisprudence rendue sous l’ancien droit, où la majorité était fixée à l’âge de 20 ans (ATF 118 II 93 c. 1a), le TF (TF 5A_524/2017 précité), et après lui l’OGer/BE, estiment toutefois qu’il n’en va pas ainsi lorsque l’action indépendante concerne un enfant majeur. Cette opinion est discutable (cf. M. Heinzmann précitée in newsletter du 18.01.2018). Force est néanmoins d’en prendre acte, étant précisé que l’enfant majeur peut en revanche encore bénéficier de l’art. 296 al. 3 CPC si sa majorité intervient au cours d’une procédure matrimoniale, dans laquelle il autorise son parent à continuer de le représenter (cf. TF 5A_524/2017 précité c. 3.2.2) et que le texte légal proposé par l’AP CPC 2018 n’apporte aucune précision à cet égard. 

5 La question de la maxime applicable au constat des faits est elle aussi disputée et en outre, ne fait pas l’objet d’une jurisprudence claire du TF (cf. ATF 139 III 368 et TF 5A_524/2017 précités). Alors qu’il est incontesté que l’action relative à un enfant mineur est soumise à la maxime inquisitoire stricte selon l’art. 296 al. 1 CPC, dans le cadre de l’action de l’enfant majeur, la confusion règne: tous les autres degrés d’intervention du juge (maxime des débats, avec ou sans devoir d’interpellation accru selon l’art. 247 al. 1 CPC – applicable en procédure simplifiée -, ou maxime inquisitoire simple) sont également envisagés (cf. notes sous art. 296 al. 1, en part. OGer/ZH du 5.12.2014 (LZ140010) c. III.2.4 [maxime des débats]; KGer/SG du 29.4.2016 (FO.2015.4) c. 1 [maxime inquisitoire stricte]).

6 Il ne faut certes pas exagérer la portée de la question, dans la mesure où en pratique, le degré d’intervention du juge dans le constat des faits et la réunion des preuves dépend en définitive plus des circonstances du cas concret que de la maxime de procédure applicable (cf. M. Heinzmann, La procédure simplifiée – Une émanation du procès civil social, thèse d’habilitation Fribourg 2018, p. 201 N 341 et 204 N 344). Néanmoins, la question de la maxime applicable devient décisive lorsqu’il s’agit d’introduire des nova, en première comme en deuxième instance: si la cause est soumise à la maxime des débats – même avec un devoir d’interpellation accru du juge selon l’art. 247 al. 1 CPC -, la présentation de nova est fortement restreinte après deux tours de parole, càd. au plus tard après le début de l’audience des débats principaux (cf. notes sous art. 229 al. 1 et 2, en part. ATF 140 III 312); elle l’est aussi, dans la même mesure, en appel (art. 317 al. 1 CPC), et est exclue dans un recours (art. 326 CPC). Si la cause est soumise à la maxime inquisitoire simple (sociale) en revanche, des nova peuvent être présentés librement en première instance jusqu’au début des délibérations (art. 229 al. 3 CPC); en appel toutefois, les restrictions résultant de l’art. 317 al. 1 CPC sont applicables (ATF 138 III 625 c. 2.2) et en procédure de recours, les nova sont là aussi exclus (Message, 6986 et notes sous art. 326 al. 1, A.). Enfin, si l’on retient que comme l’action de l’enfant mineur, celle du majeur est soumise à la maxime inquisitoire stricte, des nova peuvent être présentés sans limites non seulement jusqu’aux délibérations de première instance (art. 229 al. 3 CPC), mais aussi en appel (ATF 144 III 349 c. 4.2.1, note sous art. 317 al. 1, B.a.b.), voire en procédure de recours (v. TF 5A_511/2016 du 9.5.2017 c. 3.2, note sous art. 326 al. 1, C. et note M. Heinzmann in newsletter du 8.06.2017).

7 Les juges bernois optent ici pour la maxime inquisitoire simple, alors que le rapport explicatif de l’AP CPC 2018 – qui ne contient pas de disposition particulière sur la maxime applicable dans les procès concernant l’enfant majeur, et ne prévoit qu’une modification purement rédactionnelle de l’art. 296 al. 1 CPC, limitée à la version française – affirme „obiter“, et sans motivation, que la maxime des débats applicable en procédure simplifiée, càd. tempérée par le devoir d’interpellation accru selon l’art. 247 al. 1 CPC, suffirait à la protection de l’enfant majeur. Si la solution retenue par l’arrêt nous semble en tout cas plus satisfaisante que celle résultant du rapport précité, on ne voit néanmoins pas bien ce qui la fonde. Certes, il est souhaitable que l’enfant (souvent tout juste) majeur soit protégé et il est indéniablement une partie faible, au moins autant qu’un locataire ou un conjoint qui dans les procédures visées par l’art. 247 al. 2 ou 272 CPC, bénéficient de la maxime inquisitoire simple et non pas seulement du devoir d’interpellation accru du juge. Ces arguments ne justifient cependant pas, à notre avis, que l’on s’écarte des dispositions légales (cf. art. 55 al. 2 CPC, selon lequel la maxime inquisitoire n’est applicable que lorsque la loi le prévoit) en créant un cas d’application de la maxime inquisitoire simple que l’art. 247 al. 2 CPC ne mentionne pas. En revanche, l’application de la maxime inquisitoire stricte est bien prévue par l’art. 296 al. 1 CPC, qui ne distingue pas selon que l’enfant est mineur ou non. Bien plus, dans la mesure où il est admis que la maxime inquisitoire stricte selon l’art. 296 al. 1 CPC doit aussi profiter au débiteur d’entretien – certainement majeur – dans le procès qui l’oppose à l’enfant mineur (ATF 128 III 411 c. 3.2.1), on ne voit pas pourquoi l’enfant majeur ne pourrait pas aussi en bénéficier, dans le procès qui l’oppose à son parent et qui tend à lui permettre d’acquérir une première formation professionnelle. Enfin, l’intérêt public prépondérant que suppose la maxime inquisitoire stricte ne consiste pas seulement dans le bien de l’enfant (mineur), mais aussi dans l’intérêt de la collectivité, qui devra intervenir si l’enfant majeur n’a pas su faire valoir correctement ses droits dans la procédure l’opposant à ses parents; cette aide sera le plus souvent versée à fonds perdus, dès lors que bien des législations cantonales d’aide sociale dispensent les enfants de remboursement de l’aide reçue avant l’âge de 25 ans. 

8 Quoi qu’il en soit, l’action indépendante de l’enfant majeur est aujourd’hui entourée d’incertitudes et de divergences de traitement néfastes à une procédure qui devrait être simple et rapide. Cette insécurité juridique est d’autant plus regrettable qu’elle affecte une partie faible, dans une action qui n’est pas rare en pratique. On l’a vu, l’AP CPC 2018 n’apporte d’éclaircissement que sur la procédure applicable. Au reste, son rapport explicatif contient des affirmations d’autant plus discutables qu’elles ne trouvent aucun reflet dans le texte légal, actuel ou futur. Dans ces circonstances, il reste à attendre que le TF ait l’occasion de prendre clairement position, en particulier sur l’application de la maxime inquisitoire. Dans cette attente, l’avocat de l’enfant majeur devra par précaution présenter un mémoire recevable selon l’art. 221 CPC, articuler des conclusions précises et chiffrées en admettant que la maxime de disposition (art. 58 al. 1 CPC) est applicable, et retenir que ses allégués et offres de preuves ne pourront être librement complétés qu’en première instance, au plus tard jusqu’aux premières plaidoiries (art. 229 al. 1 et 2 CPC).

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N11, n…

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