Même lorsque le procès au fond est régi par la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC), l’établissement des faits nécessaires pour juger des conditions de recevabilité est soumis à la maxime inquisitoire simple (ATF 139 III 278 c. 4.3; TF 4A_100/2016 du 13.7.2016 c. 2.1). Sous l’empire de cette dernière maxime, le tribunal doit admettre les faits et moyens de preuve nouveaux jusqu’aux délibérations, conformément à l’art. 229 al. 3 CPC. La règle de l’art. 229 al. 1-2 CPC qui ne donne aux parties le droit de s’exprimer librement que deux fois (ATF 146 III 55 c. 2.3; 144 III 117 c. 2.2) n’est pas applicable aux conditions de recevabilité. (c. 3.3) On ne saurait déduire du fait que, selon la jurisprudence, le juge ne doit rechercher d’office que les faits qui existent en défaveur de la demande, que la maxime des débats, et partant l’art. 229 al. 1-2 CPC, s’appliquerait aux faits en faveur de la recevabilité. Les parties doivent collaborer à leur établissement, en les alléguant et en indiquant les moyens de preuve propres à les établir. Mais elles peuvent les introduire au procès sans limite jusqu’au début des délibérations (sur le fond) comme le prévoit l’art. 229 al. 3 CPC.
2022-N4 Régime des faits concernant la recevabilité : la fin de la maxime inquisitoire asymétrique ?
Note F. Bastons Bulletti
1 Trois des sept cessionnaires d’une masse en faillite agissent en responsabilité contre l’organe de révision de la faillie. Après un double échange d’écritures, le défendeur demande au tribunal de limiter la procédure à la question de la recevabilité de la demande. Se référant à l’arrêt publié aux ATF 144 III 552, il relève que la demande est irrecevable, dès lors qu’il n’est pas établi que les autres cessionnaires de la masse en faillite ont renoncé à agir. En se déterminant sur cette requête, les demanderesses produisent une déclaration de chacun des quatre autres cessionnaires, selon laquelle il a renoncé à agir ; toutes ces déclarations sont postérieures à la requête du défendeur. Le premier juge admet la recevabilité de la demande. Sur appel du défendeur, le TC retient au contraire l’irrecevabilité. Le TF admet en revanche le recours des demanderesses.
2 Le TF ne s’écarte du raisonnement de la juridiction précédente que dans sa partie finale. Il est admis, comme le rappelle le TF, que lorsque plusieurs créanciers sont cessionnaires des droits d’une masse en faillite, ils forment en procédure une consorité nécessaire improprement dite. Selon l’arrêt précité ATF 144 III 552, il en résulte qu’un cessionnaire ne peut agir seul, sans les autres cessionnaires, que s’il allègue et prouve que ceux-ci ont renoncé à agir dans la procédure en cause (cf. ATF 144 précité c. 4, note sous art. 70, B.b.a. et in newsletter du 14.11.2018 ; cf. déjà ATF 121 III 488 c. 2d ; TF 5P.204/2004 du 11.8.2004 c. 5.4) ; il s’agit là d’une condition de recevabilité – et non de bien-fondé – de la demande (ATF 144 précité, ibid. ; la consorité nécessaire au sens propre est au contraire une condition de fond, cf. not. ATF 138 III 737 c. 2, note sous art. 70, B.a.a.). Or, le tribunal doit examiner d’office la recevabilité (art. 60 CPC). La difficulté porte en l’espèce sur la question de savoir si les demanderesses ont allégué et prouvé à temps, dans le procès, les faits qui fondent la recevabilité de leur demande, soit, en l’occurrence, le fait que les autres cessionnaires de la masse avaient renoncé à agir. A cet égard, le TF énonce, en substance, que la maxime inquisitoire simple est applicable au constat des faits relatifs à la recevabilité, même lorsque, pour le fond, la maxime des débats est applicable. Il en déduit que conformément à l’art. 229 al. 3 CPC, les deux parties peuvent présenter librement des faits relatifs à la recevabilité jusqu’au début des délibérations de première instance, et non seulement jusqu’à la clôture de la phase d’allégations selon l’art. 229 al. 2 CPC. Dès lors que les demanderesses, en l’espèce, ont produit les renonciations des autres cessionnaires avant l’audience des débats principaux en première instance, il n’importe qu’un double échange d’écritures ait déjà eu lieu à ce moment. Leurs allégués et moyens de preuves étaient recevables, de sorte que le juge pouvait en tenir compte et en conséquence, admettre la recevabilité de la demande.
3 La question du constat et de la présentation, dans une procédure soumise à la maxime des débats, des faits qui se rapportent à la recevabilité de la demande n’est pas nouvelle. En ce qui concerne le rôle du juge dans le constat de ces faits, elle a déjà fait l’objet de nombreux arrêts.
3a – Ainsi, dans l’ATF 139 III 278 c. 3, maintes fois confirmé (cf. les réf. à la suite de l’ATF 139 précité, note sous l’art. 60, A.a.b.), le TF a d’abord énoncé que le devoir du juge d’examiner d’office si les conditions de recevabilité sont réunies (art. 60 CPC) ne dispense pas les parties de leur devoir de collaboration, en soulignant qu’elles doivent alléguer et prouver les faits relatifs à la recevabilité et que le juge ne doit pas rechercher ces faits de son propre chef (cf. ég. ATF 144 III 552 précité, c. 4.1.3, selon lequel « la partie demanderesse doit ainsi exposer les faits et moyens de preuve qui fondent la recevabilité de son action et la partie défenderesse ceux qui s’y opposent » ; il a en conséquence été jugé que les requérants auraient dû alléguer et prouver qu’ils étaient les seuls créanciers cessionnaires restants à pouvoir agir, cf. c. 4.3 et supra N 2).
3b – Dans l’arrêt 4A_100/2016 du 13.7.2016 , le TF a ensuite précisé que le juge doit établir les faits d’office, du moins lorsque ces faits plaident contre la recevabilité: tout en rappelant que le juge n’était pas tenu à des recherches étendues, il a néanmoins admis qu’ « un constat des faits d’office s’impose lorsqu’il ressort de l’exposé des parties, de faits notoires ou de la perception directe du tribunal, qu’une condition de recevabilité pourrait ne pas être remplie » (cf. c. 2.1.1 n.p. in ATF 142 III 515, note sous art 60, A.a.b.). En effet, il est dans l’intérêt public d’éviter des vices graves de la décision, pouvant conduire à sa nullité. Il a ainsi admis qu’en l’espèce, les faits dont résultait l’incompétence matérielle du tribunal saisi auraient dû être établis d’office, et a complété d’office les faits permettant de statuer sur cette question (art. 105 al. 2 LTF), alors même que le défendeur ne l’avait soulevée que devant le TF.
3c – Dans un arrêt ultérieur, prononcé dans une composition de cinq juges et particulièrement détaillé, le TF confirme que si le tribunal a des motifs d’admettre que l’une des conditions de recevabilité fait défaut, il s’impose de constater les faits d’office (TF 4A_229/2017 du 7.12.2017 c. 3.2 et c. 3.3.2, note sous art 60, A.a.b. et in newsletter du 18.1.2018). Dans ce même arrêt (c. 3.4, note ibid.), le TF précise que la maxime inquisitoire applicable au constat des faits relatifs à la recevabilité est « une autre forme de maxime inquisitoire limitée », dite partielle, consistant en un contrôle restreint des faits par le juge. Sa caractéristique est d’être asymétrique, en ce sens qu’elle ne produit pas ses effets dans la même mesure pour les deux parties (cf. infra N 5) et que le juge ne doit rechercher d’office que les faits qui plaident contre la réunion des conditions de recevabilité (« Der Richter muss lediglich von Amtes wegen erforschen, ob Tatsachen bestehen, die gegen das Vorliegen der Prozessvoraussetzungen sprechen»), étant précisé encore qu’il n’est en revanche pas exigé qu’il prenne en considération des faits qui plaident pour la réunion des conditions de recevabilité, si le demandeur ne les a pas allégués, ou les a allégués tardivement.
3d – Le TF a ensuite confirmé cette jurisprudence, notamment dans l’ATF 146 III 185 c. 4.4.2 (note ibid.; v. ég. p.ex.TF 4A_94/2020 du 12.6.2020 c. 4.3): rappelant que «le tribunal doit éclaircir les faits d’office lorsqu’il existe un risque qu’un jugement au fond soit rendu en dépit de l’absence d’une condition de recevabilité », il en conclut que « le tribunal doit dès lors relever les faits qui pourraient avoir une incidence sur la validité de l’autorisation de procéder et ainsi, sur la recevabilité de la demande, même sans objection du défendeur ».
4 En ce qui concerne le rôle du juge dans le constat des faits, dans le présent arrêt le TF ne semble pas s’écarter fondamentalement de sa jurisprudence. Certes, il énonce que la maxime inquisitoire simple est applicable à « l’établissement des faits nécessaires pour juger des conditions de recevabilité » (c. 3.2.3), sans distinguer selon que ces faits plaident contre la recevabilité, ou en faveur de celle-ci. Il se réfère cependant ensuite à l’arrêt TF 4A_100/2016 précité (N 3b), dont il ressort que le juge doit intervenir d’office pour établir les faits lorsqu’il apparaît qu’une condition de recevabilité pourrait faire défaut. Il rappelle en outre (c. 3.3) que « les parties doivent collaborer à leur établissement, en les alléguant et en indiquant les moyens de preuve propres à les établir ». Enfin, il souligne qu’en l’espèce, le premier juge n’a pas recherché d’office les faits justifiant la recevabilité de la demande et se réfère au « fait que selon la jurisprudence, le juge ne doit rechercher d’office que les faits qui existent en défaveur de la demande », sans indiquer que cette solution ne serait plus d’actualité (c. 3.3). Il ne semble donc pas que désormais, le juge pourrait, voire devrait, aussi intervenir d’office pour établir les faits en faveur de la recevabilité. Ainsi, en ce qui concerne le rôle du juge dans l’établissement de ces faits, le TF ne semble pas abandonner l’application asymétrique théorisée dans l’arrêt 4A_229/2017 (N 3c supra).
5 La question centrale est cependant, en l’espèce, celle du moment jusqu’auquel le demandeur peut introduire les faits en faveur de la recevabilité, dans un procès soumis à la maxime des débats. Or, cette question aussi a été examinée dans l’arrêt précité 4A_229/2017 (supra N 3c). Dans cette affaire, le demandeur avait offert, mais seulement au stade de l’appel, des preuves tendant à établir que le domicile du défendeur se situait bien au for du tribunal qu’il avait saisi. Le TF a estimé que le juge n’avait pas à tenir compte de cette production tardive, en faveur de la recevabilité de sa demande. Il a exposé en détails que la maxime inquisitoire « partielle » (supra N 3c) s’applique aux parties de manière asymétrique, en ce sens que « pour le demandeur, la maxime habituelle des débats (respectivement le droit de procédure habituel, y compris le droit applicable aux nova) est applicable, alors que le défendeur est libéré du fardeau de la contestation et qu’en ce qui concerne les circonstances de fait qui font obstacle à l’action, même des faits connus tardivement doivent être pris d’office en considération» (« für den Kläger weiter die gewöhnliche Verhandlungsmaxime (beziehungsweise das gewöhnliche Verfahrensrecht einschliesslich des darin vorgesehenen Novenrechts) gilt, während dem Beklagten die Bestreitungslast abgenommen wird und in Bezug auf klaghindernde Sachumstände auch verspätet bekannt gewordene Tatsachen von Amtes wegen zu berücksichtigen sind »; TF 4A_229/2017 précité, c. 3.4). On ne peut être plus clair : si la cause au fond est soumise à la maxime des débats, celle-ci régit aussi la présentation des nova qui justifient la recevabilité de la demande (dans le même sens : PC CPC-Copt/Chabloz art. 60 N 3 ; ég. TF 5A_741/2020 du 12.4.2021 c. 5.2.1 : « Dans les procès soumis à la maxime des débats, il revient au demandeur d’apporter les éléments permettant de conclure au respect des conditions de recevabilité, selon les règles de procédure applicables en matière de présentation des faits et des preuves »). En conséquence, l’application de l’art. 229 al. 3 CPC – qui permet d’introduire des faits et preuves en première instance jusqu’aux délibérations – est exclue, puisqu’elle suppose que le tribunal « doit établir les faits d’office », càd que la maxime inquisitoire soit applicable. Dès lors, seul le régime des nova prévu par l’art. 229 al. 1 et 2 CPC est applicable : le demandeur ne peut présenter librement des faits et preuves que jusqu’à la clôture de la phase d’allégations (soit, en cas de double échange d’écritures, au stade de la réplique : art. 229 al. 2 CPC) ; au-delà de ce moment, il ne peut plus les introduire que s’il s’agit de vrais nova, ou de pseudo nova excusables, présentés sans retard (art. 229 al. 1 CPC pour la première instance ; art. 317 al. 1 CPC pour l’appel). On ne peut dès lors pas suivre l’affirmation (c. 3.3) selon laquelle « On ne saurait déduire du fait que, selon la jurisprudence, le juge ne doit rechercher d’office que les faits qui existent en défaveur de la demande, que la maxime des débats, et partant l’art. 229 al. 1-2 CPC, s’appliquerait aux faits en faveur de la recevabilité » : comme on vient de le voir, l’arrêt 4A_229/2017 prescrit bel et bien que la maxime des débats, et partant l’art. 229 al. 1-2 CPC, s’applique aux faits en faveur de la recevabilité – sauf si la cause au fond est soumise à la maxime inquisitoire.
6 Au demeurant, la solution de l’arrêt 4A_229/2017 est logique : si le juge (et il en va semble-t-il encore ainsi, selon le présent arrêt, cf. supra N. 4) n’a pas à établir d’office les faits en faveur de la recevabilité, alors la maxime inquisitoire n’est pas applicable au constat de ces faits. Si la maxime inquisitoire n’est pas applicable, c’est nécessairement la maxime des débats qui s’applique (sauf si la cause au fond est elle-même soumise à la maxime inquisitoire). Or si la maxime des débats est applicable, la présentation des faits est régie par l’art. 229 al. 1 et 2 CPC et le demandeur ne peut pas bénéficier de l’art. 229 al. 3 CPC. Cette solution est en outre raisonnable : la recevabilité de sa demande est avant tout l’affaire du demandeur, particulièrement dans une cause soumise, au fond, à la maxime des débats. De plus, si une demande est déclarée irrecevable, les conséquences sont bien moindres que dans le cas où une demande est déclarée – à tort – recevable : dans le premier cas, le demandeur peut en principe réintroduire sa demande, cas échéant même en sauvegardant la litispendance (art. 63 CPC) ; dans le second, une décision, qui peut être nulle, est prononcée alors qu’elle n’aurait pas dû l’être. Un traitement différencié – asymétrique – du régime des nova tient compte des intérêts inégaux en jeu.
7 Ainsi, l’affirmation selon laquelle « la règle de l’art. 229 al. 1-2 CPC qui ne donne aux parties le droit de s’exprimer librement que deux fois (…) n’est pas applicable aux conditions de recevabilité » (c. 3.2.3 de l’arrêt) est en contradiction, s’agissant du demandeur, avec l’arrêt TF 4A_229/2017 précité – voire avec l’art. 229 al. 3 CPC, si comme il le semble (supra N 4), le juge ne doit toujours établir d’office que les faits qui existent en défaveur de la demande. On doit néanmoins en prendre acte, tout en relevant qu’apparemment, l’arrêt ne diverge de la jurisprudence précédente que pour la présentation, par le demandeur, des faits et preuves en faveur de la recevabilité : à cet égard, l’abandon – au moins implicite – de l’application asymétrique de la maxime inquisitoire implique que le demandeur peut présenter des nova jusqu’à la clôture des débats principaux de première instance. Pour le juge (semble-t-il, cf. supra N 4) et pour le défendeur en revanche, la situation est inchangée : notamment, le défendeur peut toujours présenter les faits et preuves contre la recevabilité, dans les (seules) limites de l’art. 229 al. 3 CPC. De même, en deuxième instance, la situation n’est pas modifiée : les nova du demandeur ne sont recevables en appel qu’aux conditions de l’art. 317 al. 1 CPC ; l’art. 229 al. 3 CPC n’est pas applicable (cf. ATF 138 III 625 c. 2.2, note sous art. 317 al. 1, B.a.a.), sauf si le procès au fond est soumis à la maxime inquisitoire stricte (cf. ATF 144 III 349 c. 4.2.1, note ibid., B.a.b.) ; nous pensons cependant qu’en appel, le défendeur doit pouvoir introduire des nova même tardifs contre la recevabilité, du moins s’il en résulte que le jugement prononcé en dépit de l’irrecevabilité pourrait être nul (cf. note in newsletter du 18.1.2018 ad arrêt 4A_229/2017 précité).
8 Ce qui nous semble plus préoccupant concerne la sécurité du droit. Sur une question en pratique aussi fréquente que celle de la récolte des faits et preuves relatifs à la recevabilité, la prévisibilité est importante pour les parties. Or, il est difficile de déterminer la portée, à l’avenir, du présent arrêt : bien qu’il ne soit pas destiné à la publication et ait été prononcé dans la composition ordinaire de trois juges, il choisit une solution opposée à l’arrêt 4A_229/2017 précité, en tout cas en ce qui concerne la présentation de nova par le demandeur en première instance. Or, sa motivation, bien moins détaillée que celle de ce précédent, ne contient, de manière surprenante, aucune discussion de celui-ci ; bien plus, il n’en fait aucune mention, alors même que le TC s’était pour sa part appuyé sur cette jurisprudence (cf. TC/FR du 9.2.2021 [101 2020 8] c. 2.4.4). L’on ne peut qu’espérer que d’autres décisions viendront lever les incertitudes qui en résultent, en confirmant ou non la solution donnée ici. Dans cette attente, la prudence s’impose : le demandeur sera bien avisé de ne pas se fier entièrement à la solution donnée ici et, dans les procès soumis au fond à la maxime des débats, d’alléguer et d’offrir avant la clôture de la phase d’allégation en première instance tous les faits et moyens de preuves qui justifient la recevabilité de sa demande. Proposition de citation: Note F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2022-N4, n°…
2022-N4 Régime des faits concernant la recevabilité : la fin de la maxime inquisitoire asymétrique ?
Note F. Bastons Bulletti
1 Trois des sept cessionnaires d’une masse en faillite agissent en responsabilité contre l’organe de révision de la faillie. Après un double échange d’écritures, le défendeur demande au tribunal de limiter la procédure à la question de la recevabilité de la demande. Se référant à l’arrêt publié aux ATF 144 III 552, il relève que la demande est irrecevable, dès lors qu’il n’est pas établi que les autres cessionnaires de la masse en faillite ont renoncé à agir. En se déterminant sur cette requête, les demanderesses produisent une déclaration de chacun des quatre autres cessionnaires, selon laquelle il a renoncé à agir ; toutes ces déclarations sont postérieures à la requête du défendeur. Le premier juge admet la recevabilité de la demande. Sur appel du défendeur, le TC retient au contraire l’irrecevabilité. Le TF admet en revanche le recours des demanderesses.
2 Le TF ne s’écarte du raisonnement de la juridiction précédente que dans sa partie finale. Il est admis, comme le rappelle le TF, que lorsque plusieurs créanciers sont cessionnaires des droits d’une masse en faillite, ils forment en procédure une consorité nécessaire improprement dite. Selon l’arrêt précité ATF 144 III 552, il en résulte qu’un cessionnaire ne peut agir seul, sans les autres cessionnaires, que s’il allègue et prouve que ceux-ci ont renoncé à agir dans la procédure en cause (cf. ATF 144 précité c. 4, note sous art. 70, B.b.a. et in newsletter du 14.11.2018 ; cf. déjà ATF 121 III 488 c. 2d ; TF 5P.204/2004 du 11.8.2004 c. 5.4) ; il s’agit là d’une condition de recevabilité – et non de bien-fondé – de la demande (ATF 144 précité, ibid. ; la consorité nécessaire au sens propre est au contraire une condition de fond, cf. not. ATF 138 III 737 c. 2, note sous art. 70, B.a.a.). Or, le tribunal doit examiner d’office la recevabilité (art. 60 CPC). La difficulté porte en l’espèce sur la question de savoir si les demanderesses ont allégué et prouvé à temps, dans le procès, les faits qui fondent la recevabilité de leur demande, soit, en l’occurrence, le fait que les autres cessionnaires de la masse avaient renoncé à agir. A cet égard, le TF énonce, en substance, que la maxime inquisitoire simple est applicable au constat des faits relatifs à la recevabilité, même lorsque, pour le fond, la maxime des débats est applicable. Il en déduit que conformément à l’art. 229 al. 3 CPC, les deux parties peuvent présenter librement des faits relatifs à la recevabilité jusqu’au début des délibérations de première instance, et non seulement jusqu’à la clôture de la phase d’allégations selon l’art. 229 al. 2 CPC. Dès lors que les demanderesses, en l’espèce, ont produit les renonciations des autres cessionnaires avant l’audience des débats principaux en première instance, il n’importe qu’un double échange d’écritures ait déjà eu lieu à ce moment. Leurs allégués et moyens de preuves étaient recevables, de sorte que le juge pouvait en tenir compte et en conséquence, admettre la recevabilité de la demande.
3 La question du constat et de la présentation, dans une procédure soumise à la maxime des débats, des faits qui se rapportent à la recevabilité de la demande n’est pas nouvelle. En ce qui concerne le rôle du juge dans le constat de ces faits, elle a déjà fait l’objet de nombreux arrêts.
3a – Ainsi, dans l’ATF 139 III 278 c. 3, maintes fois confirmé (cf. les réf. à la suite de l’ATF 139 précité, note sous l’art. 60, A.a.b.), le TF a d’abord énoncé que le devoir du juge d’examiner d’office si les conditions de recevabilité sont réunies (art. 60 CPC) ne dispense pas les parties de leur devoir de collaboration, en soulignant qu’elles doivent alléguer et prouver les faits relatifs à la recevabilité et que le juge ne doit pas rechercher ces faits de son propre chef (cf. ég. ATF 144 III 552 précité, c. 4.1.3, selon lequel « la partie demanderesse doit ainsi exposer les faits et moyens de preuve qui fondent la recevabilité de son action et la partie défenderesse ceux qui s’y opposent » ; il a en conséquence été jugé que les requérants auraient dû alléguer et prouver qu’ils étaient les seuls créanciers cessionnaires restants à pouvoir agir, cf. c. 4.3 et supra N 2).
3b – Dans l’arrêt 4A_100/2016 du 13.7.2016 , le TF a ensuite précisé que le juge doit établir les faits d’office, du moins lorsque ces faits plaident contre la recevabilité: tout en rappelant que le juge n’était pas tenu à des recherches étendues, il a néanmoins admis qu’ « un constat des faits d’office s’impose lorsqu’il ressort de l’exposé des parties, de faits notoires ou de la perception directe du tribunal, qu’une condition de recevabilité pourrait ne pas être remplie » (cf. c. 2.1.1 n.p. in ATF 142 III 515, note sous art 60, A.a.b.). En effet, il est dans l’intérêt public d’éviter des vices graves de la décision, pouvant conduire à sa nullité. Il a ainsi admis qu’en l’espèce, les faits dont résultait l’incompétence matérielle du tribunal saisi auraient dû être établis d’office, et a complété d’office les faits permettant de statuer sur cette question (art. 105 al. 2 LTF), alors même que le défendeur ne l’avait soulevée que devant le TF.
3c – Dans un arrêt ultérieur, prononcé dans une composition de cinq juges et particulièrement détaillé, le TF confirme que si le tribunal a des motifs d’admettre que l’une des conditions de recevabilité fait défaut, il s’impose de constater les faits d’office (TF 4A_229/2017 du 7.12.2017 c. 3.2 et c. 3.3.2, note sous art 60, A.a.b. et in newsletter du 18.1.2018). Dans ce même arrêt (c. 3.4, note ibid.), le TF précise que la maxime inquisitoire applicable au constat des faits relatifs à la recevabilité est « une autre forme de maxime inquisitoire limitée », dite partielle, consistant en un contrôle restreint des faits par le juge. Sa caractéristique est d’être asymétrique, en ce sens qu’elle ne produit pas ses effets dans la même mesure pour les deux parties (cf. infra N 5) et que le juge ne doit rechercher d’office que les faits qui plaident contre la réunion des conditions de recevabilité (« Der Richter muss lediglich von Amtes wegen erforschen, ob Tatsachen bestehen, die gegen das Vorliegen der Prozessvoraussetzungen sprechen»), étant précisé encore qu’il n’est en revanche pas exigé qu’il prenne en considération des faits qui plaident pour la réunion des conditions de recevabilité, si le demandeur ne les a pas allégués, ou les a allégués tardivement.
3d – Le TF a ensuite confirmé cette jurisprudence, notamment dans l’ATF 146 III 185 c. 4.4.2 (note ibid.; v. ég. p.ex.TF 4A_94/2020 du 12.6.2020 c. 4.3): rappelant que «le tribunal doit éclaircir les faits d’office lorsqu’il existe un risque qu’un jugement au fond soit rendu en dépit de l’absence d’une condition de recevabilité », il en conclut que « le tribunal doit dès lors relever les faits qui pourraient avoir une incidence sur la validité de l’autorisation de procéder et ainsi, sur la recevabilité de la demande, même sans objection du défendeur ».
4 En ce qui concerne le rôle du juge dans le constat des faits, dans le présent arrêt le TF ne semble pas s’écarter fondamentalement de sa jurisprudence. Certes, il énonce que la maxime inquisitoire simple est applicable à « l’établissement des faits nécessaires pour juger des conditions de recevabilité » (c. 3.2.3), sans distinguer selon que ces faits plaident contre la recevabilité, ou en faveur de celle-ci. Il se réfère cependant ensuite à l’arrêt TF 4A_100/2016 précité (N 3b), dont il ressort que le juge doit intervenir d’office pour établir les faits lorsqu’il apparaît qu’une condition de recevabilité pourrait faire défaut. Il rappelle en outre (c. 3.3) que « les parties doivent collaborer à leur établissement, en les alléguant et en indiquant les moyens de preuve propres à les établir ». Enfin, il souligne qu’en l’espèce, le premier juge n’a pas recherché d’office les faits justifiant la recevabilité de la demande et se réfère au « fait que selon la jurisprudence, le juge ne doit rechercher d’office que les faits qui existent en défaveur de la demande », sans indiquer que cette solution ne serait plus d’actualité (c. 3.3). Il ne semble donc pas que désormais, le juge pourrait, voire devrait, aussi intervenir d’office pour établir les faits en faveur de la recevabilité. Ainsi, en ce qui concerne le rôle du juge dans l’établissement de ces faits, le TF ne semble pas abandonner l’application asymétrique théorisée dans l’arrêt 4A_229/2017 (N 3c supra).
5 La question centrale est cependant, en l’espèce, celle du moment jusqu’auquel le demandeur peut introduire les faits en faveur de la recevabilité, dans un procès soumis à la maxime des débats. Or, cette question aussi a été examinée dans l’arrêt précité 4A_229/2017 (supra N 3c). Dans cette affaire, le demandeur avait offert, mais seulement au stade de l’appel, des preuves tendant à établir que le domicile du défendeur se situait bien au for du tribunal qu’il avait saisi. Le TF a estimé que le juge n’avait pas à tenir compte de cette production tardive, en faveur de la recevabilité de sa demande. Il a exposé en détails que la maxime inquisitoire « partielle » (supra N 3c) s’applique aux parties de manière asymétrique, en ce sens que « pour le demandeur, la maxime habituelle des débats (respectivement le droit de procédure habituel, y compris le droit applicable aux nova) est applicable, alors que le défendeur est libéré du fardeau de la contestation et qu’en ce qui concerne les circonstances de fait qui font obstacle à l’action, même des faits connus tardivement doivent être pris d’office en considération» (« für den Kläger weiter die gewöhnliche Verhandlungsmaxime (beziehungsweise das gewöhnliche Verfahrensrecht einschliesslich des darin vorgesehenen Novenrechts) gilt, während dem Beklagten die Bestreitungslast abgenommen wird und in Bezug auf klaghindernde Sachumstände auch verspätet bekannt gewordene Tatsachen von Amtes wegen zu berücksichtigen sind »; TF 4A_229/2017 précité, c. 3.4). On ne peut être plus clair : si la cause au fond est soumise à la maxime des débats, celle-ci régit aussi la présentation des nova qui justifient la recevabilité de la demande (dans le même sens : PC CPC-Copt/Chabloz art. 60 N 3 ; ég. TF 5A_741/2020 du 12.4.2021 c. 5.2.1 : « Dans les procès soumis à la maxime des débats, il revient au demandeur d’apporter les éléments permettant de conclure au respect des conditions de recevabilité, selon les règles de procédure applicables en matière de présentation des faits et des preuves »). En conséquence, l’application de l’art. 229 al. 3 CPC – qui permet d’introduire des faits et preuves en première instance jusqu’aux délibérations – est exclue, puisqu’elle suppose que le tribunal « doit établir les faits d’office », càd que la maxime inquisitoire soit applicable. Dès lors, seul le régime des nova prévu par l’art. 229 al. 1 et 2 CPC est applicable : le demandeur ne peut présenter librement des faits et preuves que jusqu’à la clôture de la phase d’allégations (soit, en cas de double échange d’écritures, au stade de la réplique : art. 229 al. 2 CPC) ; au-delà de ce moment, il ne peut plus les introduire que s’il s’agit de vrais nova, ou de pseudo nova excusables, présentés sans retard (art. 229 al. 1 CPC pour la première instance ; art. 317 al. 1 CPC pour l’appel). On ne peut dès lors pas suivre l’affirmation (c. 3.3) selon laquelle « On ne saurait déduire du fait que, selon la jurisprudence, le juge ne doit rechercher d’office que les faits qui existent en défaveur de la demande, que la maxime des débats, et partant l’art. 229 al. 1-2 CPC, s’appliquerait aux faits en faveur de la recevabilité » : comme on vient de le voir, l’arrêt 4A_229/2017 prescrit bel et bien que la maxime des débats, et partant l’art. 229 al. 1-2 CPC, s’applique aux faits en faveur de la recevabilité – sauf si la cause au fond est soumise à la maxime inquisitoire.
6 Au demeurant, la solution de l’arrêt 4A_229/2017 est logique : si le juge (et il en va semble-t-il encore ainsi, selon le présent arrêt, cf. supra N. 4) n’a pas à établir d’office les faits en faveur de la recevabilité, alors la maxime inquisitoire n’est pas applicable au constat de ces faits. Si la maxime inquisitoire n’est pas applicable, c’est nécessairement la maxime des débats qui s’applique (sauf si la cause au fond est elle-même soumise à la maxime inquisitoire). Or si la maxime des débats est applicable, la présentation des faits est régie par l’art. 229 al. 1 et 2 CPC et le demandeur ne peut pas bénéficier de l’art. 229 al. 3 CPC. Cette solution est en outre raisonnable : la recevabilité de sa demande est avant tout l’affaire du demandeur, particulièrement dans une cause soumise, au fond, à la maxime des débats. De plus, si une demande est déclarée irrecevable, les conséquences sont bien moindres que dans le cas où une demande est déclarée – à tort – recevable : dans le premier cas, le demandeur peut en principe réintroduire sa demande, cas échéant même en sauvegardant la litispendance (art. 63 CPC) ; dans le second, une décision, qui peut être nulle, est prononcée alors qu’elle n’aurait pas dû l’être. Un traitement différencié – asymétrique – du régime des nova tient compte des intérêts inégaux en jeu.
7 Ainsi, l’affirmation selon laquelle « la règle de l’art. 229 al. 1-2 CPC qui ne donne aux parties le droit de s’exprimer librement que deux fois (…) n’est pas applicable aux conditions de recevabilité » (c. 3.2.3 de l’arrêt) est en contradiction, s’agissant du demandeur, avec l’arrêt TF 4A_229/2017 précité – voire avec l’art. 229 al. 3 CPC, si comme il le semble (supra N 4), le juge ne doit toujours établir d’office que les faits qui existent en défaveur de la demande. On doit néanmoins en prendre acte, tout en relevant qu’apparemment, l’arrêt ne diverge de la jurisprudence précédente que pour la présentation, par le demandeur, des faits et preuves en faveur de la recevabilité : à cet égard, l’abandon – au moins implicite – de l’application asymétrique de la maxime inquisitoire implique que le demandeur peut présenter des nova jusqu’à la clôture des débats principaux de première instance. Pour le juge (semble-t-il, cf. supra N 4) et pour le défendeur en revanche, la situation est inchangée : notamment, le défendeur peut toujours présenter les faits et preuves contre la recevabilité, dans les (seules) limites de l’art. 229 al. 3 CPC. De même, en deuxième instance, la situation n’est pas modifiée : les nova du demandeur ne sont recevables en appel qu’aux conditions de l’art. 317 al. 1 CPC ; l’art. 229 al. 3 CPC n’est pas applicable (cf. ATF 138 III 625 c. 2.2, note sous art. 317 al. 1, B.a.a.), sauf si le procès au fond est soumis à la maxime inquisitoire stricte (cf. ATF 144 III 349 c. 4.2.1, note ibid., B.a.b.) ; nous pensons cependant qu’en appel, le défendeur doit pouvoir introduire des nova même tardifs contre la recevabilité, du moins s’il en résulte que le jugement prononcé en dépit de l’irrecevabilité pourrait être nul (cf. note in newsletter du 18.1.2018 ad arrêt 4A_229/2017 précité).
8 Ce qui nous semble plus préoccupant concerne la sécurité du droit. Sur une question en pratique aussi fréquente que celle de la récolte des faits et preuves relatifs à la recevabilité, la prévisibilité est importante pour les parties. Or, il est difficile de déterminer la portée, à l’avenir, du présent arrêt : bien qu’il ne soit pas destiné à la publication et ait été prononcé dans la composition ordinaire de trois juges, il choisit une solution opposée à l’arrêt 4A_229/2017 précité, en tout cas en ce qui concerne la présentation de nova par le demandeur en première instance. Or, sa motivation, bien moins détaillée que celle de ce précédent, ne contient, de manière surprenante, aucune discussion de celui-ci ; bien plus, il n’en fait aucune mention, alors même que le TC s’était pour sa part appuyé sur cette jurisprudence (cf. TC/FR du 9.2.2021 [101 2020 8] c. 2.4.4). L’on ne peut qu’espérer que d’autres décisions viendront lever les incertitudes qui en résultent, en confirmant ou non la solution donnée ici. Dans cette attente, la prudence s’impose : le demandeur sera bien avisé de ne pas se fier entièrement à la solution donnée ici et, dans les procès soumis au fond à la maxime des débats, d’alléguer et d’offrir avant la clôture de la phase d’allégation en première instance tous les faits et moyens de preuves qui justifient la recevabilité de sa demande. Proposition de citation: Note F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2022-N4, n°…