Le délai de versement d’une avance de frais est un délai judiciaire, qui selon l’art. 144 al. 2 peut être prolongé pour des motifs suffisants, lorsque la requête en est faite avant l’expiration du délai. Le requérant peut admettre qu’une requête déposée dans le délai sera traitée et que même en cas de rejet, un court délai supplémentaire lui sera accordé, de sorte qu’il ne sera pas considéré, à la suite du rejet de la requête, que le délai est expiré sans avoir été utilisé. On ne peut s’écarter de cette règle que lorsque la requête est dilatoire, ou que des indices concrets montrent que de toute manière, le délai de grâce ne serait pas utilisé, ou lorsqu’il peut être considéré que la requête de prolongation n’est pas sérieuse, car la prolongation est en tout cas exclue (cf. TF 5A_280/2018 du 21.1.2018 c. 4.2; 5A_75/2011 [recte : 4A_75/2011] du 26.5.2011 c. 2; cf. ég. p.ex. OGer/ZH du 15.7.2014 (PF140019) c. 2.2). (c. 4.3) Le fait qu’un délai ait été précédemment prolongé “pour la dernière fois” ne s’oppose pas non plus à la fixation d’un délai supplémentaire (cf. TF 1C_171/2012 du 13.6.2012 c. 2). (..) Cette forme de délai supplémentaire ne doit pas être confondue avec le délai de grâce imposé par l’art. 101 al. 3 CPC. Ce dernier n’intervient que lorsque le délai pour verser l’avance est effectivement dépassé. Il ne doit être fixé, avec avis des conséquences du défaut, qu’après l’écoulement du (court) délai supplémentaire, et non déjà dans le cadre du rejet de la seconde requête de prolongation.
2019-N13 Versement de l’avance de frais – Le jeu des prolongations
Note F. Bastons Bulletti
1 L’avance des frais de la procédure (art. 98 CPC) peut s’élever jusqu’à la totalité des frais prévisibles du procès (art. 101 CPC). L’Avant-projet de révision du CPC, du 2 mars 2018, propose de plafonner les avances à la moitié de ce montant (art. 98 al. 1 AP CPC 2018), eu égard notamment aux tarifs très élevés pratiqués dans certains cantons. En l’état, cependant, il n’est pas rare que le versement de l’avance pose des difficultés aux demandeurs qui ne peuvent pas obtenir l’assistance judiciaire – ce qui notamment, est en principe le cas des personnes morales (cf. notes sous art. 117, A.). Or le défaut de versement à temps rend la demande irrecevable (art. 101 al. 3 CPC) : celle-ci pourra certes être réintroduite (cf. note sous art. 101 al. 3, en part. ATF 140 III 159 c. 4.2.2), mais concrètement, l’irrecevabilité signifie en général la perte des frais liés à la procédure de conciliation, voire, pour les actions soumises à un délai péremptoire, la perte du droit matériel. Au stade d’un appel ou d’un recours, elle implique que la décision attaquée deviendra ou demeurera définitive.
2 Dans ces circonstances, obtenir un délai supplémentaire pour réunir les fonds nécessaires peut être un enjeu crucial. Tel était sans doute le cas en l’espèce, qui se déroulait devant le tribunal des baux zurichois (étant rappelé que le délai d’action en contestation du congé selon l’art. 273 CO est un délai péremptoire). Le demandeur a requis, à temps, une seconde prolongation du délai imparti pour verser l’avance de frais. Le tribunal a rejeté sa requête et lui a fixé un délai de grâce de 5 jours, en l’avisant qu’à défaut de versement, la demande serait déclarée irrecevable. Aucun versement n’ayant eu lieu dans ce délai, le tribunal a prononcé l’irrecevabilité. L’OGer/ZH a admis l’appel du demandeur.
3 L’OGer a, d’une part, rappelé sa jurisprudence en matière de prolongation de délai (art. 144 al. 2 CPC): si une requête de prolongation déposée à temps est rejetée, le juge doit impartir au requérant un bref délai supplémentaire pour accomplir l’acte en cause : ainsi celui-ci ne court pas le risque que le délai soit déjà écoulé lorsqu’il apprend le refus. Il en va ainsi même lorsque le délai dont la prolongation est refusée a été imparti « pour la dernière fois » – sauf abus de droit, ou s’il apparaît que le délai supplémentaire ne sera de toute manière pas utilisé. Ce délai ne se confond pas avec le délai de grâce prévu par l’art. 101 al. 3 CPC, qui lui, ne doit être imparti que lorsque le délai pour verser l’avance – cas échéant prolongé – est expiré. En d’autres termes, le délai de grâce de l’art. 101 al. 3 CPC ne remplace pas le délai à impartir en cas de refus de la prolongation de délai, mais s’y ajoute. L’OGer a dès lors annulé la décision d’irrecevabilité et renvoyé la cause au premier juge, pour qu’il fixe le délai supplémentaire puis cas échéant, le délai de grâce de l’art. 101 al. 3 CPC.
4 Il peut être utile de récapituler les principaux mécanismes, résultant de la loi ou de la jurisprudence, par lesquels le délai du versement de l’avance de frais se trouve directement ou indirectement prolongé. On laissera de côté le cas où le défendeur requiert des sûretés (art. 99 CPC), ainsi que les suspensions dont peut bénéficier le demandeur selon la procédure applicable au fond (art. 145 CPC).
5 Tout d’abord, le recours au sens strict est ouvert contre la décision de première instance fixant l’avance de frais (art. 103 CPC ; art. 319 lit. b ch. 1). S’agissant d’une ordonnance d’instruction (v. notes sous art. 103), le délai légal de recours est de 10 jours (art. 321 al. 2 CPC) ; si l’on retient que l’ordonnance est prononcée en procédure sommaire, ce délai n’est pas suspendu (art. 145 al. 2 lit. b CPC). Le grief présenté sera généralement la violation du droit (320 lit. a CPC ; violation des art. 98 et 101 et/ou du tarif cantonal, voire de dispositions prévoyant la gratuité de la procédure), y compris l’exercice du pouvoir d’appréciation. Dans la mesure cependant où le recours n’a pas d’effet suspensif (art 325 al. 1 CPC), il ne constitue pas un moyen de repousser le délai de versement de l’avance de frais, sauf à obtenir, sur requête, l’effet suspensif. Si le recours muni de l’effet suspensif est rejeté, un nouveau délai d’avance de frais sera imparti, qui ne sera pas suspendu par un éventuel recours au TF (sur la recevabilité restreinte de ce recours, cf. art. 93 al. 1 lit. a LTF), mais qui en soi, pourra être prolongé (v. infra).
6 Ensuite, la jurisprudence admet que le dépôt d’une requête d’assistance judiciaire, voire d’une requête de provisio ad litem – à laquelle l’assistance judiciaire est subsidiaire (cf. notes sous art. 117 lit. a, 2.) – entraîne une sorte d’effet suspensif implicite du délai imparti pour verser l’avance de frais, jusqu’à droit connu sur cette requête (v. notes sous art. 101 al. 1, en part. ATF 138 III 163 c. 4.2 ; 138 III 672 c. 4.2.1 ; TF 5A_280/2018 du 21.9.2018 c. 6.3), sous réserve toutefois d’un abus de requêtes (ibidem, TF 5D_32/2017 du 21.3.2017 c. 4.2). Le refus de l’assistance judiciaire – lui-même sujet à recours stricto sensu, cf. art. 121 CPC – conduit à la fixation d’office d’un délai de grâce pour le versement de l’avance de frais (ibidem, not. TF 5A_280/2018 du 21.9.2018 c. 6.3).
7 Le délai de versement de l’avance peut ensuite être prolongé, au sens de l’art. 144 al. 2 : cela suppose une requête déposée avant la fin du délai, ainsi que des motifs suffisants, laissés à l’appréciation du juge. Sous ces conditions, plusieurs prolongations peuvent se succéder, cas échéant même s’il a déjà été indiqué que le délai ne serait pas (plus) prolongé (TF 5A_820/2011 du 3.8.2011 c. 2.1). Néanmoins, même une première prolongation n’est pas assurée (v. notes sous art. 144 al. 2, A., en part. TF 5D_21/2013 du 28.5.2013 c. 5.1.1). En cas de refus, dès lors que la décision sur la requête de prolongation est une ordonnance d’instruction et que la loi ne prévoit pas de recours, elle ne peut être attaquée que par un recours au sens strict, aux conditions restrictives de l’art. 319 lit. b ch. 2 CPC – le refus d’une prolongation du délai d’avance de frais n’est selon nous pas une décision « relative aux avances de frais » au sens de l’art. 103 CPC, qui serait toujours sujette à recours selon l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC. Le délai légal de recours est de 10 jours (art. 321 al. 2 CPC). Le recours n’ayant pas d’effet suspensif (art. 325 al. 1 CPC), il ne dispense pas du versement à temps de l’avance, sauf à requérir et obtenir l’effet suspensif.
8 Si le recours contre le refus de prolongation de délai n’est pas exercé, ou s’il n’est pas assorti de l’effet suspensif, ou s’il est finalement rejeté, il restera néanmoins au demandeur, selon les cantons, le bref délai supplémentaire que l’OGer de Zürich a accordé ici. La loi ne le prévoit cependant pas (cf. art. 144 CPC) et les pratiques ne semblent pas uniformes (selon le TF, le requérant qui a requis la prolongation au dernier moment peut supporter le risque d’un refus, cf. notes sous art. 144 al. 2, A, not. TF 5D_21/2013 du 28.5.2013 c. 5.1.2). La pratique zurichoise s’avère donc généreuse, particulièrement lorsque comme ici, la loi prévoit déjà un délai de grâce (art. 101 al. 3 CPC ; infra N 9), ou lorsque le requérant a déjà été averti qu’une nouvelle requête de prolongation serait refusée. Toutefois, ce délai supplémentaire peut être refusé, p.ex., si la requête est estimée dilatoire (v. c. 4.2 de l’arrêt).
9 Lorsqu’il n’est plus possible d’obtenir une prolongation du délai, le demandeur qui n’a toujours pas versé l’avance à l’échéance pourra compter encore sur le délai de grâce prévu par l’art. 101 al. 3 CPC. Il n’est de plus pas exclu que ce bref délai soit lui-même encore prolongé (art. 144 al. 2, supra N 7), quoi qu’à des conditions strictes (cf. notes sous art. 101 al. 3, en part. TF 5A_654/2015 du 22.12.2015 c. 5.1 et 5.2). En cas de refus de prolongation, un très bref délai de grâce (supra N 8) pourra cependant encore être accordé (cf. TF 5A_280/2018 du 21.9.2018 c. 4.1 et 4.2, note ibidem).
10 Enfin, si faute de versement dans le délai de grâce, la demande est déclarée irrecevable selon l’art. 101 al. 3 i.f. CPC, un recours demeure encore ouvert : la doctrine n’est pas unanime sur la voie de droit ouverte. Il faut selon nous admettre qu’il s’agit d’une décision qui met fin à la procédure, au sens des art. 236, 308 al. 1 lit. a et 319 lit. a CPC : selon la nature de la cause au fond, l’appel ou le recours au sens strict seront recevables, dans un délai de 30 jours si la cause n’est pas soumise à la procédure sommaire (art. 311 al. 1 et 314 al. 1 ; art. 321 al. 1 et 2 CPC). Il ne s’agit cependant pas, en principe, de prolonger le délai, ni de contester une décision d’avance de frais qui n’a pas été attaquée à temps selon l’art. 103 CPC, ou l’a été en vain, mais de critiquer la décision d’irrecevabilité, p.ex. en démontrant que le délai a été calculé inexactement, ou que le versement est intervenu à temps, voire que le plaideur n’a pas été régulièrement averti des conséquences du défaut (cf. notes sous art. 101 al. 3). Si aucun de ces griefs ne peut être fondé, il reste encore la restitution du délai, aux conditions de l’art. 148 CPC (càd. l’absence de faute, ou la faute légère). La décision à ce sujet ne pourra faire l’objet d’un recours (appel ou recours, selon la nature de la cause au fond), que si le refus de la restitution entraîne la perte définitive de l’action (cf. notes sous art. 149, en part. ATF 139 III 478 c. 4-7).
11 Si ainsi, plusieurs moyens ont pour effet de prolonger – parfois de peu – le délai, il va toutefois de soi que leur cumul, même partiel, pourra être considéré comme un abus de droit du demandeur, qui ne sera pas protégé (art. 52 CPC).
12 Reste à savoir ce que peut faire le défendeur, qui n’a pas du tout forcément intérêt à ce que la procédure traîne en longueur. D’une part, en principe il n’a certainement pas d’intérêt juridiquement protégé (art. 59 al. 2 lit. a CPC) à recourir, selon l’art. 103 CPC, contre la fixation d’une avance de frais qu’il trouverait trop faible, pas plus que contre l’octroi au demandeur de l’assistance judiciaire (art. 121 CPC) -sauf s’il est ainsi privé de sûretés auxquelles il a probablement droit (cf. notes sous art. 121, A. en part. TF 5A_916/2016 du 7.7.2017 c. 2.3) – ni contre l’octroi d’une provisio ad litem à charge d’un tiers. D’autre part, il n’a pas même nécessairement le droit d’être entendu sur les requêtes de prolongation de délai du demandeur, du moins si elles concernent le versement de l’avance de frais initiale (cf. TF 5A_328/2016 du 30.1.2017 c. 3.3, note sous art. 101 al. 1). Il ne peut pas non plus, en principe, contester les prolongations de délai – et moins encore le délai de grâce, prévu par l’art. 101 al. 3 CPC– accordées au demandeur, faute du risque de préjudice difficilement réparable au sens de l’art. 319 lit. b ch. 2 CPC, qui conditionne le recours (v. N 7), ni contester une éventuelle restitution du délai (v. art. 149 CPC). Il peut cependant envisager en tout temps un recours stricto sensu pour retard injustifié, au sens des art. 319 lit. c et 321 al. 4 CPC (pour un cas d’admission du recours, cf. TC/NE du 8.5.2015 (ARMC.2015.12) c. 3b, note sous art. 101 al. 3).
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N13, n…