La liste des exceptions à l’exigence d’une procédure de conciliation, selon l’art. 198 lit. a à h CPC, est tenue pour exhaustive. Si le tribunal a imparti un délai pour la demande en inscription définitive d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, la créance qui fonde ce droit de gage ne peut pas être invoquée – que ce soit de manière indépendante, ou en cumul objectif d’actions – sans conciliation préalable, en se référant à l’art. 198 lit. h CPC. La fixation d’un délai ne se rapporte qu’à la demande en inscription définitive de l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, et non à la demande en paiement. Quand bien même une interprétation différente de l’art. 198 lit. h CPC répondrait à un besoin pratique, le texte légal ne la permet pas. Le législateur aussi l’a reconnu et pour ce motif, il propose dans le Message du 26.2.2020 relatif à la modification du CPC (FF 2020, 2660 ss) de compléter l’art. 198 lit. h CPC en ce sens que la procédure de conciliation n’est pas seulement supprimée lorsque le tribunal a imparti un délai pour le dépôt de la demande, mais aussi « […] pour les actions qui sont jointes et connexes à celle-ci » (FF 2020, 2698). Il n’y a en l’espèce pas de motif de devancer le législateur.
2021-N8 Demandes de l’entrepreneur en paiement et en inscription définitive d’une hypothèque légale – un cumul (encore) compliqué
Note F. Bastons Bulletti
1 Dans un arrêt qui n’est pas destiné à publication, mais néanmoins rendu dans une composition de cinq juges, le TF confirme sa précédente jurisprudence (cf. notes sous art. 197, B.c., en part. TF 4A_413/2012 du 14.1.2013 c. 6) : le cumul d’actions ne fait pas partie des exceptions, exhaustivement prévues par l’art. 198 CPC, à la procédure préalable de conciliation obligatoire (art. 197 ss CPC). Dès lors, le fait de cumuler une demande soumise à la conciliation avec une demande qui en est exemptée ne permet pas de contourner l’exigence de cette procédure préalable.
2 Il en va ainsi même lorsque, comme en l’espèce, l’action qu’il s’agit de cumuler, pour laquelle la conciliation est obligatoire (in casu une action en paiement du prix de l’ouvrage, dirigée contre le débiteur et propriétaire de l’immeuble), est étroitement liée – càd. connexe – à la demande pour laquelle le préalable de conciliation n’est pas prévu (in casu la demande en inscription définitive de l’hypothèque légale, qui après l’inscription provisoire, doit faire l’objet d’une demande dans un délai fixé par le juge, au sens de l’art. 198 lit. h CPC) et qu’ainsi, leur traitement commun apparaît opportun. La connexité est ici manifeste : l’inscription définitive suppose que le montant du gage soit reconnu (art. 839 al. 3 CC), de sorte que le juge doit examiner, à titre préjudiciel, l’existence de la créance qui est également l’objet de la demande en paiement (cf. ATF 138 III 132 c. 4.2.2). Le TF n’avait pas tranché la question jusqu’ici et la jurisprudence des cantons n’est pas unanime (cf. notes sous art. 198 lit. h, not. OGer/ZH du 17.9.2014 (LB130063), exigeant la conciliation préalable pour la demande en paiement cumulée à la demande en inscription définitive; contra TC/VD CACI du 27.3.2013 (2013/180), note ibid. ; OGer/BE du 25.6.2015, ZK 15 153 c. IV, note ibid.).
3 La solution peut sembler peu heureuse (cf. critique L. Grobéty, Cumul objectif d’actions et conciliation en procédure civile suisse, Jusletter du 13.4.2015 : si les prétentions cumulées sont connexes, la procédure de conciliation devrait soit avoir lieu pour le tout, soit être supprimée pour le tout, selon que la prétention prépondérante – qui dans le cas visé ici, est en général la prétention en inscription définitive – est soumise ou non à la conciliation ; v. ég. infra N 6). En effet, cette solution implique concrètement que l’entrepreneur qui souhaite que sa créance soit examinée à titre principal, avec autorité de chose jugée – et non seulement à titre préjudiciel dans le cadre de l’inscription définitive, sans autorité de chose jugée (cf. notes sous art. 59 al. 2 lit. e, 3., en part. ATF 138 III 261 c. 1.2 ; ég. ATF 138 III 132 précité, c. 4.2.2 et 4.3.2) – doit déposer deux écritures distinctes, l’une devant l’autorité de conciliation, l’autre devant le juge de l’inscription définitive, en requérant la suspension de la procédure d’inscription définitive (art. 126 CPC) jusqu’à la délivrance de l’autorisation de procéder concernant la demande en paiement, puis déposer cette demande devant le tribunal et requérir la jonction des deux procédures (TF 4A_413/2012 du 14.1.2013 c. 6 précité, note sous art. 197, B.c.). De fait, cette solution ne permet pas au demandeur de décider seul du cumul d’actions – ce que lui permet pourtant l’art. 90 CPC -, dès lors que les effets d’un tel cumul ne peuvent être obtenus que si le juge accepte d’abord de suspendre la procédure d‘inscription définitive (art. 126 CPC), puis de joindre les deux demandes (art. 125 lit. c CPC), ce qui relève de son pouvoir d’appréciation (cf. notes sous les dispositions précitées); elle comporte en outre, en cas de refus du juge, le risque de décisions contradictoires. Elle a enfin, en tout cas, l’inconvénient de la lourdeur et d’un coût en temps et en moyens.
4 La solution donnée ici peut cependant se justifier, eu égard aux travaux législatifs en cours. Force est d’admettre que de lege lata, aucune solution satisfaisante ne se dégage de manière évidente pour le praticien. Or le législateur entend régler ce problème : le Conseil fédéral propose en effet une modification de l’art. 198 lit. h CPC (FF 2020, 2698; c. 2.2 de l’arrêt), en dispensant aussi du préalable la conciliation une demande jointe (càd. cumulée) à celle pour le dépôt de laquelle le juge a imparti un délai, lorsque les deux demandes sont connexes. Le Message (FF 2020, 2662) se réfère expressément au cas de l’action en paiement jointe à l’action en inscription définitive d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, en indiquant que l’action en inscription définitive ne peut actuellement « pas être formée dans la même procédure que l’action condamnatoire, connexe, qui se fonde sur le contrat d’entreprise et qui vise au paiement de la créance garantie par gage ». Dès lors que le projet du Conseil fédéral propose un correctif, l’avis du TF selon lequel il n’y a pas lieu d’anticiper sur la modification à débattre au Parlement est convaincant. Si elle est adoptée, la modification proposée permettra au demandeur de soumettre directement au même tribunal, en cumul objectif, des demandes dont la connexité justifie qu’elles soient traitées ensemble et sans retard, dans la même procédure ; la conciliation pourra en outre toujours être tentée (art. 124 al. 3 CPC). Le projet du Conseil fédéral prévoit par ailleurs de maintenir les conditions actuelles d’un cumul d’actions, soit l’identité de compétence matérielle et de procédure applicable aux deux demandes (art. 90 CPC), en y ajoutant une codification de la jurisprudence (ATF 142 III 788 c. 4.2.2-4.2.4, note sous art. 90, B.) selon laquelle le calcul de la valeur litigieuse (par addition, cf. art. 93 al. 1 CPC) est opéré avant de déterminer la compétence matérielle et la procédure applicable (art. 90 al. 2 P-CPC, cf. FF 2020, 2695 et Message, FF 2020, 2646) : ainsi, même lorsque la valeur litigieuse de la demande en inscription définitive est de peu inférieure à CHF 30’000.-, un cumul avec la demande en paiement d’un même montant, ou d’un montant supérieur à CHF 30’000.- est admissible, la procédure ordinaire étant alors applicable.
5 Dans l’intervalle, ou pour le cas où la modification législative ne serait pas adoptée, il reste néanmoins au plaideur qui veut cumuler les deux demandes la possibilité d’y procéder ultérieurement, càd. de n’introduire d’abord que la demande en inscription définitive, dans le délai imparti par le juge et sans conciliation préalable (art. 198 lit. h CPC), puis avant la clôture de la phase d’allégations (art. 229 al. 1 et 2 CPC), de modifier (amplifier) ses conclusions en demandant aussi le paiement de sa créance. En effet, si les conditions de l’art. 227 al. 1 CPC sont réunies, la nouvelle demande n’est pas soumise au préalable de conciliation (cf. newsletter 2021-N4, n. 5 et réf., en part. TF 4A_222/2017 du 8.5.2018 c. 4.1.2, note M. Heinzmann in newsletter du 23.8.2018 ; ég. OGer/BE précité du 25.6.2015, note sous art. 198 lit. h). Dès lors que la condition de connexité avec la demande initiale (art. 227 al. 1 lit. a CPC) est réalisée (supra N 2), cette modification est en principe admise, sous condition toutefois que la procédure applicable demeure inchangée (art. 227 al. 1 CPC). Il en résulte que la modification n’est pas aussi largement admissible qu’un cumul opéré lors du dépôt de la demande (supra N 4 i.f.) : si la demande en inscription définitive est soumise à la procédure simplifiée (valeur litigieuse inférieure à CHF 30’000.-, art. 243 al. 1 CPC), il n’est pas possible d’y ajouter une demande en paiement lorsque, par l’addition des valeurs litigieuses (art. 93 al. 1 CPC), la procédure ordinaire deviendrait applicable (PC CPC-Heinzmann art. 227 N 14).
6 Néanmoins, le fait même que – sous réserve de l’identité de procédure applicable – l’on puisse cumuler subséquemment l’action en paiement à l’action en inscription définitive, sans conciliation préalable, démontre qu’imposer la procédure de conciliation pour l’action en paiement ne fait guère de sens. S’il n’avait pas renoncé à anticiper sur la modification du CPC (supra N 4), le TF aurait pu se rappeler que la modification de la demande, si elle est possible en cours de procédure, l’est a fortiori lorsqu’elle a lieu au moment du dépôt de la demande devant le tribunal : en effet, à ce moment-là, le type de procédure applicable n’est pas déjà défini, mais au contraire, se détermine au vu de toutes les conclusions de la demande ; la condition de l’identité de procédure applicable (art. 227 al. 1 CPC) n’est alors pas justifiée et seule est exigée la connexité avec les conclusions précédentes (TF 4A_222/2017 précité supra N 5, ibid.) ; or lorsque l’entrepreneur ajoute une demande en paiement à sa demande en inscription définitive, la connexité est évidente (cf. supra N 2). Quant aux conditions du cumul d’actions lui-même (art. 90 CPC), elles ne posent pas de difficulté dans le cas envisagé (supra N 4 i.f.). Ainsi, lorsque l’entrepreneur, en déposant – comme en l’espèce – sa demande en inscription définitive au tribunal, y ajoute une demande en paiement, il procède à une modification de la demande au sens de l’art. 227 al. 1 CPC, sous la forme d’un cumul admissible; dès lors que cette modification est recevable, le préalable de conciliation ne doit pas être imposé (supra N 5 et TF 4A_222/2017 précité, ibid.). Quoi qu’il en soit, le présent arrêt montre que la modification législative proposée, qui clarifiera la situation et simplifiera la tâche des plaideurs, est bienvenue.
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2021-N8, n°…