Selon l’art. 239 al. 1 lit. b CPC le tribunal peut communiquer la décision sans motivation écrite, en notifiant le dispositif aux parties. Dans la pratique, il y a néanmoins souvent de brèves motivations. Il n’est pas arbitraire de considérer que le tribunal supérieur doit déclarer irrecevable un recours fondé sur la présence d’une brève motivation (cf. p.ex. ég. KGer/SG du 3.10.2013 [BE.2013.43], GVP 2013 Nr. 61), car il en résulterait sinon une violation du droit d’être entendu, qui exige que la motivation de la décision d’une autorité soit rédigée de telle sorte que l’intéressé puisse de rendre compte de sa portée et l’attaquer en pleine connaissance de cause (ATF 134 I 83 c. 4.1 ; 133 III 439 c. 3.3). Il ne s’impose pas de faire une exception en l’espèce, dès lors que la brève motivation était si courte qu’une motivation aurait manifestement dû être requise. Si aucune motivation n’est demandée, il est en principe considéré qu’il est renoncé à l’appel ou au recours (art. 239 al. 2 CPC). Il n’y a pas d’application arbitraire du droit à retenir cette conséquence prévue par la loi, quand bien même l’on estime que dans ce cas, le recours au tribunal supérieur doit être compris comme une requête de motivation et doit être transmis au tribunal (cf. p.ex. KGer/SG du 3.10.2013). A cela s’ajoute que la structure externe de la décision ne permettait pas à la recourante, représentée par un avocat, d’admettre qu’il y aurait déjà une décision motivée par écrit, dont la notification déclenche les délais de recours (art. 311 al. 1 et 321 al. 1 CPC). La « brève motivation » est agrafée à la décision après la signature du tribunal, se situe ainsi au dehors de la décision formelle (art. 238 CPC) et a dès lors uniquement un caractère informatif.
2021-N15 Notification d’un dispositif brièvement motivé : avantages, risques et solutions
Note F. Bastons Bulletti
1 Une décision de mesures protectrices de l’union conjugale ordonne notamment des mesures de protection de l’enfant. Chargée de l’exécution de cette décision, l’autorité de protection de l’enfant (APE) notifie à son tour une décision aux époux. Celle-ci contient l’avis que les parties peuvent demander la motivation écrite dans les dix jours dès la notification du dispositif et que si aucune motivation n’est requise, elles seront considérées avoir renoncé au recours. Dans les dix jours suivant cette notification, l’épouse, représentée par un avocat, introduit un recours stricto sensu. Le tribunal supérieur déclare ce recours irrecevable, au motif que celui-ci ne peut être dirigé que contre une décision motivée, et non contre le simple dispositif communiqué. Dans son recours au TF, l’épouse soutient que la décision était motivée, dès lors que le dispositif notifié contenait une brève motivation, et que l’avis mentionnant la possibilité de demander une motivation écrite ne liait pas son avocat (cf. c. 3.3.1 et 3.3.2 de l’arrêt). Le TF rejette le recours.
2 Il résulte de l’art. 239 CPC qu’une décision peut être communiquée de trois manières : soit à l’audience déjà, par remise du dispositif écrit, sans motivation écrite, mais accompagné d’une motivation orale sommaire (art. 239 al. 1 lit. a CPC) ; soit par notification (selon les art. 138 à 141 CPC) du dispositif écrit, sans motivation écrite (art. 239 al. 1 lit. b CPC) ; soit par notification de la décision complète, comprenant d’emblée une motivation écrite (art. 238 lit. g CPC ; art. 239 al. 1 a contrario CPC). Dans les deux premiers cas, il n’est notifié de motivation écrite que s’il en est fait la requête dans les 10 jours à compter de la communication du dispositif (art. 239 al. 2 CPC).
3 L’affaire jugée ici vise la pratique (dont l’admissibilité n’était pas l’objet de l’arrêt, mais est approuvée en doctrine, cf. Sarbach/Minnig, Dispositiveröffnung mit zusätzlicher schriftlicher Begründung?, PJA 2020, 161 ss) de certains tribunaux qui procèdent de la deuxième manière (art. 239 al. 1 lit. b CPC), en notifiant le dispositif écrit sans motivation complète, mais néanmoins accompagné d’une brève motivation. Cette pratique hybride, non prévue par la loi, est justifiée par l’économie de procédure : en orientant les parties, elle leur facilite la décision de requérir ou non la motivation complète selon l’art. 239 al. 2 CPC et réduit ainsi les demandes de motivation écrite (cf. Sarbach/Minnig, op. cit.).
4 Le semblant de motivation ajouté au dispositif n’est pas conçu comme une motivation complète, mais n’a qu’un caractère informatif. En outre, il ne satisfait généralement pas aux exigences de motivation résultant du droit d’être entendu (cf. notes sous art. 53, D., p.ex. ATF 142 III 433 c. 4.3.2), selon lesquelles une décision n’est suffisamment motivée que si l’intéressé peut se rendre compte de sa portée et l’attaquer en connaissance de cause.
5 Néanmoins, face à une décision lapidairement motivée, le destinataire peut avoir des hésitations sur la nature de l’acte notifié – simple dispositif avec brève motivation, ou décision d’emblée entièrement motivée. Or, une erreur sur l’existence ou non d’une motivation complète est souvent lourde de conséquences :
5a– si une partie croit avoir affaire à une décision brièvement motivée, alors que le tribunal a en réalité communiqué sa décision entièrement motivée, il en résulte en général la perte de toute possibilité de recours. En effet, si cette partie demande la motivation écrite complète, sa requête sera rejetée, dès lors que selon le tribunal, cette motivation lui a déjà été notifiée. Or, lorsqu’elle prendra connaissance de ce rejet, le délai d’appel ou de recours sera généralement écoulé, particulièrement s’il n’était que de 10 jours (appel ou recours contre une décision prononcée en procédure sommaire ou contre une ordonnance d’instruction, cf. art. 314 al. 1 et 321 al. 2 CPC). Sauf à obtenir une restitution du délai de recours (art. 148 CPC), ce qui suppose de rendre vraisemblable l’absence de faute, ou une faute seulement légère, de sa part et de la part de son mandataire, le plaideur sera forclos à recourir ;
5b– si l’intéressé croit à tort avoir reçu une décision entièrement motivée et introduit directement un appel ou recours, sa situation n’est pas meilleure : dès lors que seule une motivation suffisante permet d’attaquer utilement la décision (cf. N 4 supra), les délais légaux d‘appel ou de recours ne commencent pas à courir avant la notification de la décision motivée, au sens de l’art. 239 al. 2 CPC (cf. art. 311 al. 1 et 321 al. 1 CPC ; v. ég. TF 4A_128/2017 du 12.5.2017 c. 5.5, note sous art. 311, B.). Il en résulte que le recours dirigé contre une décision qui n’est pas (entièrement) motivée – qu’il s’agisse d’un simple dispositif, ou d’un dispositif brièvement motivé – est irrecevable (cf. dans le même sens, cf. KGer/SG du 3.10.2013 (BE.2013.43) c. II.2, note sous art. 239 al. 2). Plus encore, le TF énonce (c. 3.3.4 de l’arrêt) que si le délai de 10 jours de l’art. 239 al. 2 CPC s’est entre-temps écoulé sans être utilisé – ce qui est souvent le cas -, il n’est pas arbitraire d’en déduire, en sus, la perte des possibilités de recours. En effet, selon l’art. 239 al. 2 i.f. CPC, faute de demande de motivation écrite déposée dans le délai, les parties sont considérées (il s’agit là d’une fiction, cf. PC CPC-Heinzmann/Braidi art. 239 N 12; ég. CJ/GE du 09.02.2012 [ACJC/159/2012], note sous art. 239 al. 2) avoir renoncé à l’appel ou au recours. Cette dernière conséquence n’est cependant pas inéluctable :
5ba — d’une part, si la partie adverse a demandé la motivation à temps, cette demande profite aussi à son adversaire (cf. PC CPC-Heinzmann/Braidi art. 239 N 12 et réf.). Ainsi, à notre avis, celui qui a directement introduit un recours au lieu de demander la motivation écrite, mais qui reçoit néanmoins la décision entièrement motivée, peut encore introduire un appel ou un recours, aussi longtemps que le délai que cette notification a déclenché n’est pas écoulé ; l’irrecevabilité de son premier recours n’y fait pas non plus obstacle, dès lors qu’une décision d’irrecevabilité n’a pas autorité de chose jugée sur le fond.
5bb — d’autre part, même si selon le TF, il n’est pas arbitraire d’admettre que le plaideur a renoncé à recourir lorsqu’au lieu de requérir la motivation à temps, il a directement introduit un recours contre le dispositif, une autre solution est soutenable, voire – à notre avis – préférable. En effet, les actes des parties doivent être interprétés selon les règles de la bonne foi (principe de la confiance, cf. ég. note infra, 2021-N16 n. 6). Or, comme l’a retenu le Kantonsgericht de St Gall (KGer/SG précité, c. II.3), le plaideur qui forme un recours prématuré manifeste sans équivoque sa volonté de recourir, de sorte que de bonne foi, son acte doit être considéré comme une demande de rédaction de la motivation, au sens de l’art. 239 al. 2 CPC, plutôt que comme une renonciation aux voies de droit. Bien que non adressée au premier juge, cette demande est recevable, pourvu qu’elle soit déposée dans les 10 jours (art. 239 al. 2 CPC) dès la notification du dispositif. En effet, selon un principe général de procédure, qu’exprime l’art. 48 al. 3 LTF, le délai est réputé observé si l’acte est adressé en temps utile à une autorité incompétente ; celle-ci doit transmettre l’acte d’office à l’autorité compétente. Or ce principe, qui tend à éviter des rigueurs de forme excessives (et que l’art. 143 al. 1bis du projet de révision du CPC prévoit d’ancrer dans le CPC, cf. FF 2020, 2697) est en tout cas applicable aux délais de recours du CPC, du moins si l’acte est adressé à tort au judex a quo (cf. ATF 140 III 636 c. 3, 3.5 – 3.7, note sous art. 63 al. 1, A.b. et in newsletter du 28.1.2015). L’interdiction du formalisme excessif commande à notre avis de l’appliquer aussi, par analogie, lorsque l’acte mal adressé est une demande de motivation, préalable à un recours (cf. ég. KGer/SG précité, ibid.), d’autant qu’en ce cas, l’autorité compétente est très aisément déterminable, de sorte que la perte de temps et de frais est minime. Même la rigueur qui prévaut envers les avocats (dont les actes et omissions sont opposables à leur client, cf. not. TF 5A_350/2021 du 17.5.2021 c. 4, note sous art. 68, Généralités) en matière d’exigences de forme ne s’y oppose pas : d’une part, la mise en œuvre du droit matériel et la garantie constitutionnelle des voies de droit doivent avoir le pas sur le strict respect des règles de forme. D’autre part, aucun intérêt supérieur n’est affecté si l’acte de recours est considéré comme une demande de motivation et est transmis d’office au premier juge : cette transmission supposant que le délai de l’art. 239 al. 2 CPC a été respecté, la procédure n’est guère ralentie et les intérêts légitimes de la partie adverse ne sont pas lésés, d’autant qu’elle aussi pourra recourir contre la décision motivée, qui lui sera également notifiée (v. supra N 5ba).
6 Au demeurant, il faut relativiser le risque d’erreur : il peut certes être parfois délicat, pour le destinataire et son avocat, de déterminer si le tribunal lui a communiqué un simple dispositif assorti d’une brève motivation, ou une décision complète, directement motivée. Cependant, l’indication des voies de droit, dont la décision est obligatoirement assortie (art. 238 lit. f CPC), et qui doit être adaptée au cas particulier (TF 4A_475/2018 du 12.9.2019 c. 5.1 – 5.2 n.p. in ATF 145 III 469, note sous art. 238 lit. f, 1. et in newsletter 2019-N26, n. 4), doit fournir les renseignements nécessaires à cet égard : selon la doctrine et la jurisprudence (KGer/SG du 17.10.2011 (BE.2011.42) c. III, note sous art. 239 al. 1, 1. ; PC CPC-Heinzmann/Braidi art. 238 N 17 ; Sarbach/Minnig, op. cit., II.) une décision qui n’est pas (entièrement) motivée doit mentionner le droit de demander la motivation écrite dans les 10 jours (art. 239 al. 2 CPC) et préciser qu’une omission est considérée comme une renonciation à l’appel ou au recours (art. 239 al. 2, 2e phr. CPC). Ainsi, l’intéressé qui a des doutes sur la nature de la décision notifiée peut se contenter de vérifier si une telle mention y figure : si tel est le cas, il doit en déduire que le dispositif n’est pas entièrement motivé et qu’il doit demander la motivation écrite dans les 10 jours, avant de pouvoir recourir. En l’absence d’une telle mention en revanche, il doit admettre que la décision est entièrement motivée et qu’en conséquence, le délai d’appel ou de recours a déjà commencé à courir (art. 311 al. 1 et art. 321al. 1 CPC) ; si dans ce cas, il estime que la décision n’est pas suffisamment motivée, il doit s’en plaindre dans cet appel ou ce recours, en invoquant une violation de son droit d’être entendu (art. 53 CPC ; s’il est manifeste, ce vice peut même être relevé d’office, sans grief, cf. ATF 142 III 413 c. 2.2.4, note sous art. 311, A.b.b.). Inversement toutefois, si le dispositif notifié avec une motivation apparemment complète mentionne l’art. 239 CPC, la partie qui a cru à tort avoir affaire à une décision déjà motivée, pouvant faire directement l’objet d’un appel ou recours, ne peut pas invoquer la protection de sa confiance, du simple fait que le dispositif était assorti d’un semblant de motivation, et exiger qu’il soit entré en matière sur son recours. De même, si le dispositif ne mentionne pas l’art. 239 CPC, le plaideur doit directement déposer un recours ou appel, même s’il estime que la décision n’est pas suffisamment motivée ; dans ce cadre, il pourra se plaindre d’une violation de son droit à la motivation (art. 53 CPC, cf. notes sous art. 53 al. 1, D.).
7 L’indication des voies de droit peut certes être erronée, ou imprécise. Dans ce cas, il faut à notre avis admettre que la confiance du destinataire dans l’indication donnée doit être entièrement protégée, même si celui-ci est représenté par un avocat, soumis en principe à des exigences plus élevées de diligence (cf. notes sous art. 52, C.c., not. ATF 138 I 49 c. 8.3.2 et 8.4 et ATF 141 III 270 c. 3.3). En effet, dans ce cas de figure, seul le tribunal sait s’il a entendu notifier un simple dispositif assorti d’une brève motivation, ou une décision d’emblée complètement motivée. L’avocat ne peut rien retirer de la lecture des dispositions légales, qui n’envisagent que la notification d’un dispositif sans (aucune) motivation, ou – a contrario – d’un dispositif entièrement motivé. On ne peut donc lui reprocher de négligence grossière s’il se limite à examiner si le tribunal a ou non mentionné l’art. 239 al. 2 CPC dans l’indication des voies de droit. On ne peut en outre pas, à notre avis, lui imposer de faire des suppositions dans certaines situations ambiguës : ainsi, si la décision notifiée, bien que semblant entièrement motivée – et donc immédiatement sujette à appel ou recours – mentionne la possibilité de demander la motivation selon l’art. 239 al. 2 CPC, l’avocat qui demande la motivation écrite ne saurait se la voir refuser au motif qu’il l’aurait « manifestement » déjà reçue, ni ensuite, se voir opposer la tardiveté d’un recours ou d’un appel. Inversement, si le dispositif ne mentionne pas l’art. 239 al. 2 CPC, l’avocat est fondé à introduire directement une voie de droit, à moins que le dispositif notifié ne comporte aucune motivation. On ne saurait déclarer ce recours ou appel irrecevable au motif, p.ex., qu’une motivation trop brève, et/ou située après la signature du tribunal, accompagnait le dispositif, de sorte qu’il aurait dû comprendre qu’il ne s’agissait pas là d’une motivation au sens de l’art. 239 CPC et qu’il fallait malgré tout requérir une motivation complète ; si la décision s’avère insuffisamment motivée, il faut au contraire admettre le recours pour violation du droit à la motivation, annuler la décision et en principe, renvoyer la cause au premier juge (cf. notes sous art. 53 al. 1, E.).
8 Le risque de confusion est cependant plus marqué lorsque la décision en cause est une ordonnance d’instruction, pour laquelle le devoir de motiver et l’application analogique de l’art. 239 CPC restent encore incertains et contestés (cf. TF 4A_128/2017 du 12.5.2017 c. 5.4-5.5 s., note sous art. 239 al. 2, 1 ; ég. PC CPC-Heinzmann/Braidi art. 239 N 3 et réf.). Dans ce cas, il faut à notre avis exiger du juge, s’il notifie une ordonnance brièvement motivée, qu’il indique clairement si celle-ci vaut ou non motivation au sens de l’art. 239 al. 2 CPC et à défaut d’une telle indication, libérer de tout préjudice le plaideur qui s’est trompé sur les intentions du juge, sous la seule réserve d’un abus de droit manifeste.
9 La présente décision doit en tout cas inciter les plaideurs, et particulièrement leurs avocats, à la prudence : à la notification une décision lapidairement motivée, il leur incombe en premier lieu d’examiner attentivement l’indication des voies de droit et de s’y conformer (supra N 6-7). S’ils soupçonnent encore une erreur du tribunal, et s’ils ne peuvent obtenir à temps d’éclaircissements, ils seront bien avisés de déposer une demande de motivation auprès du premier juge dans le délai de l’art. 239 al. 2 CPC et en outre, d’introduire un recours dans un délai calculé dès la notification du dispositif en question, en y exposant leurs doutes, en priant le tribunal supérieur de suspendre la procédure jusqu’à droit connu sur sa demande de motivation écrite et en réservant un éventuel complément au recours, au cas où une motivation écrite complète serait ultérieurement notifiée.
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2021-N15, n°…