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Second échange d’écritures, débats principaux et clôture de la phase de l’allégation en procédure sommaire

TF 5A_366/2019* du 19.6.2020 c. 3, 3.1 - 3.2

Art. 229 al. 1 et 2, 252 s. - PROCEDURE SOMMAIRE – TENUE (EXCEPTIONNELLE) D’UN SECOND ECHANGE D’ECRITURES OU D’UNE AUDIENCE – MOMENT JUSQU’AUQUEL DES NOVA PEUVENT ETRE INTRODUITS SANS LIMITES

La solution esquissée dans l’ATF 144 III 117 c. 2.2 doit être confirmée : en procédure sommaire de première instance, l’art. 229 CPC est applicable par analogie si – après un simple échange d’écritures – une audience a lieu ou, exceptionnellement, un second échange d’écritures est ordonné. La possibilité de s’exprimer sans limites est ainsi est ainsi donnée deux fois. Lors d’un second échange d’écritures, les novas doivent être autorisés sans restriction (cf. art. 229 al. 2 CPC). Dans ce cas, la phase d’allégations n’est close qu’après le deuxième échange d’écritures. Il en va de même si une audience est tenue en lieu et place d’un second échange d’écritures. (…) Après le second échange d’écritures (ou après la possibilité illimitée de s’exprimer à l’audience), la situation est la même que celle qui se produirait normalement [en procédure sommaire] après un seul échange d’écritures déjà, c’est-à-dire que les vrais et pseudo nova ne peuvent plus être introduits qu’aux conditions strictes de l’art. 229 al. 1 CPC. (c. 3.2) Dans l’intérêt de la sécurité du droit, les tribunaux devraient indiquer clairement s’ils ordonnent un deuxième échange d’écritures ou s’ils accordent simplement un droit de réplique. Ce faisant, ils doivent traiter les parties sur un pied d’égalité. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut éviter tout doute éventuel chez les parties. C’est aussi le seul moyen d’éviter que les tribunaux ne doivent interpréter ultérieurement ce qui a été ordonné et, le cas échéant, doivent même recourir à des règles d’interprétation (sur ce dernier point cf. TF 5A_82/2015 du 16.6.2015 c. 4.2.1, selon lequel dans de doute, il faut admettre que seul le droit de réplique inconditionnel a été accordé, cette règle n’étant pas applicable en l’espèce en raison du résultat clair de l’interprétation).

2020-N19 Second échange d’écritures, débats principaux et clôture de la phase de l’allégation en procédure sommaire 
Note Laurent Grobéty


1 Dans le cadre d’une procédure en octroi de la mainlevée définitive de l’opposition, un second échange d’écritures est ordonné. Dans sa réplique, le créancier produit de nouvelles pièces sur la base desquelles la mainlevée est prononcée. La partie requise conteste cette décision et interjette un recours devant le Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer le moment de la clôture de la phase d’allégation en procédure sommaire lorsqu’un second échange d’écritures ou une audience des débats a été ordonné. Le Tribunal fédéral considère qu’une telle contestation soulève une question juridique de principe (art. 74 al. 2 let. a LTF), ce qui lui permet d’entrer en matière malgré la faible valeur litigieuse. 

2 Le présent arrêt tranche une question laissée ouverte dans l’ATF 144 III 117 c. 2.2 et 2.3 (note sous art. 229 al. 1 et 2, A.2.b.). Il apporte une clarification bienvenue sur le moment de la clôture de la phase de l’allégation en procédure sommaire lorsqu’un second échange est ordonné ou que le tribunal convoque les parties à des débats. Trois situations doivent dès lors être distinguées.

2a – Dans le cas ordinaire, la phase de l’allégation prend fin à l’issue du premier échange d’écritures. Nul ne peut ainsi partir de l’idée que, suite au premier échange d’écritures, le tribunal ordonnera un second tour de parole ou fixera une audience des débats. Contrairement à ce qui prévaut en procédure ordinaire ou simplifiée, les parties n’ont pas de droit à s’exprimer deux fois de manière illimitée en procédure sommaire. 

2b – Exceptionnellement, le tribunal peut ordonner un second échange d’écritures. Dans l’arrêt commenté, le Tribunal fédéral précise que dans ce cas, les parties peuvent alléguer de nouveaux faits et produire de nouveaux moyens de preuve de manière illimitée (c. 3.1). La clôture de la phase de l’allégation intervient alors à la fin du second échange d’écritures. Si, en vertu de l’art. 125 let. a CPC, le tribunal limite la portée du second échange d’écritures à certains aspects de l’objet du litige, les parties peuvent s’exprimer de manière illimitée en lien avec ces aspects uniquement. Des faits et moyens de preuve nouveaux ayant trait à d’autres points ne peuvent être produits qu’aux conditions de l’art. 229 al. 1 CPC (du même avis : SOGO Miguel/BÄCHLER Roman, Aktenschluss im summarischen Verfahren, PJA 2020 p. 315 ss, p. 322).

2c – L’art. 256 al. 1 CPC permet au tribunal de fixer une audience des débats selon son appréciation. Dans l’arrêt commenté, le Tribunal fédéral laisse la question du déroulement d’une telle audience ouverte (c. 3.1). À ce sujet, les pratiques cantonales varient, tant en ce qui concerne la tenue ou non d’une audience que son déroulement. En procédures ordinaire et simplifiée, les parties peuvent présenter des faits et moyens de preuve nouveaux à l’ouverture des débats (art. 229 al. 2 CPC). Le Tribunal fédéral a récemment précisé que l’expression « à l’ouverture des débats » correspond au moment qui précède la tenue des premières plaidoiries (ATF 144 III 67 c. 2.1, note sous art. 229 al. 1 et 2, A.1). Cette jurisprudence doit à notre sens être transposée à la procédure sommaire, ce d’autant plus que les parties ne sont pas systématiquement amenées à plaider dans une audience conduite en procédure sommaire. Si, en revanche, une audience des débats est fixée à la suite d’un second échange d’écritures, des faits et moyens de preuve nouveaux ne sont admissibles qu’aux conditions de l’art. 229 al. 1 CPC.

3 À l’issue du deuxième échange d’écritures ou suite à la présentation de faits et moyens de preuve nouveaux à l’ouverture des débats (art. 229 al. 2 CPC par analogie), quiconque entend faire valoir des novas doit se tenir aux conditions strictes de l’art. 229 al. 1 CPC. Le Tribunal fédéral ne se prononce toutefois pas sur l’application de l’art. 229 al. 3 CPC à la procédure sommaire, lorsque le tribunal doit établir les faits d’office.

4 Si l’arrêt commenté a permis au Tribunal fédéral de mettre fin à une controverse sur la question de la clôture de la phase de l’allégation en procédure sommaire, des questions demeurent néanmoins ouvertes. Les principales concernent le lien avec le droit inconditionnel à la réplique, respectivement avec le droit à la tenue d’une audience publique.

4a En vertu du droit inconditionnel à la réplique, chaque partie a le droit de se déterminer sur l’ensemble des actes de l’adverse partie ou du tribunal (ATF 146 III 97 c. 3.4.1 avec réf., note sous art. 53 al. 1, C.b.a). Les parties ne sauraient toutefois user du droit inconditionnel à la réplique pour compléter ou améliorer leurs allégués (TF, 4A_487/2014, 28.10.2014, c. 1.2.4). Dans le présent arrêt, les juges fédéraux rappellent que les parties peuvent s’exprimer de manière illimitée dans le cadre d’un deuxième échange d’écritures si – et seulement si – celui-ci a été formellement ordonné par le tribunal (c. 3.2). Selon les circonstances, la distinction peut s’avérer ténue. À cette fin, les tribunaux peuvent recourir à des règles d’interprétation. Selon la jurisprudence fédérale, il convient, dans le doute, de retenir qu’un délai imparti au requérant pour prendre position ou répliquer constitue une invitation à l’exercice du droit inconditionnel à la réplique et non pas un second échange d’écritures (TF, 5A_82/2015, 16.06.2015, c. 4.2.2, note sous art. 53 al. 1, C.b.c). Cette présomption n’est cependant pas absolue. Dans l’arrêt commenté, notre Haute Cour est en effet parvenue à un autre résultat. Dans le doute, l’ordonnance d’instruction correspondante doit être interprétée. Au cas d’espèce, certains critères semblent avoir fait trancher le Tribunal fédéral en faveur d’un nouvel échange d’écritures. Les points décisifs résident dans la fixation d’un délai au requérant pour le dépôt de la réplique, l’octroi d’une prolongation de ce même délai, la mise en garde sur les conséquences du défaut (art. 147 al. 2 CPC) et la notification de la réplique à la partie requise sans lui impartir de délai. Au vu de ce qui précède, il est à recommander aux tribunaux d’indiquer clairement dans l’ordonnance d’instruction correspondante s’ils entendent ordonner formellement un second échange d’écritures ou s’ils souhaitent simplement rendre une partie attentive à la possibilité d’exercer son droit à la réplique (c. 3.2 ; dans le même sens (SOGO/BÄCHLER, op. cit., p. 322 s.).

4b Selon l’art. 6 § 1 CEDH, toute personne a le droit à ce que des contestations portant sur ses droits et obligations à caractère civil soient entendues publiquement par un tribunal indépendant et impartial. Selon la jurisprudence, le droit à la tenue d’une audience publique ne s’applique que si la procédure en question aboutit à une décision définitive (ATF 129 I 103 c. 2.3.3). Tel n’est donc pas le cas d’une procédure en octroi de la mainlevée de l’opposition (ATF 141 I 97 c. 5.1, note sous art. 256 al. 1, A). Malgré cela, le droit à la tenue d’une audience publique n’est pas complètement étranger à la procédure sommaire ; il peut notamment être invoqué dans le cadre d’une procédure en protection dans les cas clairs (art. 257 CPC). Se pose dès lors la question de savoir si les parties peuvent présenter des faits et moyens de preuve nouveaux de manière illimitée dans le cadre d’une audience tenue en application de l’art. 6 § 1 CEDH. Une telle possibilité ne saurait être retenue (du même avis : SOGO/BÄCHLER, op. cit., p. 331). En effet, aussi bien le droit à la tenue d’une audience publique que le droit inconditionnel à la réplique découlent de l’art. 6 CEDH. De ce fait, un parallélisme des formes se justifie en ce qui concerne l’apport des faits au procès. De plus, il ressort clairement de l’arrêt commenté que la conduite du procès – et partant la faculté de déterminer le moment de la clôture de la phase de l’allégation – est laissée à la libre appréciation du tribunal. En permettant à une partie de faire valoir des faits et moyens de preuve nouveaux à l’occasion d’une audience dont elle a elle-même exigé la tenue, celle-ci pourrait, de son propre chef, décider de compléter une écriture insuffisamment étayée (substanziiert) ou dont les allégations de faits sont lacunaires. Enfin, cela se trouverait en porte-à-faux avec le principe selon lequel les parties, en procédure sommaire, doivent produire l’ensemble des faits et moyens de preuve en une seule fois. 

5 La solution retenue par le présent arrêt, destiné à la publication, est à saluer. Le Tribunal fédéral apporte une clarification aussi cohérente que bienvenue à la question de la clôture de la phase de l’allégation en procédure sommaire. Pour les praticiens, il ne constitue en revanche aucunement une révolution. En effet, les parties à une procédure sommaire ne peuvent jamais partir du principe qu’un « droit à la deuxième chance » leur sera octroyé lors d’une audience ou d’un second échange d’écritures. Il s’ensuit que tout plaideur bien avisé prendra grand soin d’alléguer l’ensemble des faits pertinents dans sa requête et de formuler les offres de preuves correspondantes. Dans ce même acte, il convient également d’anticiper les arguments prévisibles que la partie requise pourrait soulever en prenant position à leur sujet. Une fois le premier échange d’écritures terminé, les parties perdent toute maîtrise sur l’établissement des faits.
Proposition de citation: 
Laurent Grobéty in newletter CPC Online 2020-N19, n…

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