[Introduction d’un appel – Retrait avant que le juge d’appel n’ait notifié le mémoire d’appel aux intimés – Dépens réclamés par les intimés] En l’espèce, les intimés n’ont eu qu’à recevoir deux ordonnances, doit celle indiquant qu’un appel était introduit et celle mentionnant que l’appel était retiré. Le travail occasionné par la simple prise de connaissance de ces deux communications est tellement faible qu’il ne justifie guère l’octroi qu’un montant minime. De toute manière, le constat que le délai d’appel est écoulé sans avoir été utilisé, ou qu’une voie de droit a bien été introduite – en général le dernier jour du délai – relève encore des opérations finales de la procédure de première instance et est couvert par les dépens qui y ont été alloués. En outre, l’instance d’appel n’avait pas encore notifié l’appel aux intimés. Le fait que le représentant des appelantes ait transmis par confraternité une copie de l’appel au représentant des intimés, a permis ces premiers constats et préparatifs et a au fond prolongé le délai de réponse à l’appel en leur faveur. Il serait injuste et choquant que cette attitude confraternelle soit précisément retenue comme motif d’allouer des dépens. Le travail accompli provisionnellement, sur la base de la copie adressée par un confrère, doit être pris en charge par les clients [intimés à l’appel] eux-mêmes. Ces démarches ne peuvent être mises à la charge des appelantes, car au moment où elles ont été accomplies, elles n’étaient pas encore nécessaires.
2019-N30 – Communication directe d’un mémoire de recours entre avocats – Qui occasionne les (éventuels) frais inutiles ?
Note F. Bastons Bulletti
1 Après que le tribunal de première instance ait déclaré leur demande irrecevable, les demandeurs introduisent un appel ; ils le retirent deux semaines plus tard. A ce moment-là, le tribunal supérieur n’a pas encore notifié le mémoire d’appel aux intimés. Ceux-ci en ont néanmoins connaissance, car par confraternité, l’avocat des appelants a adressé une copie de ce mémoire à l’avocat des intimés. Après le retrait de l’appel, les intimés sont invités à produire leur liste de frais.
2 Le président de la Chambre saisie leur refuse néanmoins l’octroi des dépens qu’ils réclament. Il considère, d’une part, que le travail nécessaire à ce stade de la procédure – soit la prise de connaissance des avis d’introduction, puis de retrait, de l’appel reçus du tribunal cantonal – était insignifiant ; d’autre part, ce travail relève encore des opérations finales de première instance et est ainsi couvert par les dépens déjà alloués, dès lors que l’avocat ne peut adresser sa facture finale à son client aussi longtemps qu’il ignore si un recours (au sens large) a ou non été déposé. Enfin, toutes autres démarches des intimés sont dues au fait que l’avocat des appelants a adressé copie de son mémoire d’appel à son confrère. Bénéficiant ainsi d’une prolongation du délai pour répondre à l’appel – si celui-ci avait été maintenu – les intimés ne sauraient en profiter pour réclamer des dépens à ce titre. Dans la mesure où ils ont effectué d’autres opérations – ce que l’arrêt ne mentionne pas clairement -, celles-ci sont écartées, au motif qu’elles n’étaient pas (encore) nécessaires et qu’elles doivent rester à charge des intimés.
3 Il est incontestable qu’ayant retiré leur appel, les appelants doivent être considérés comme partie succombante au sens de l’art. 106 al. 1 CPC et dès lors, sont tenus au paiement des frais de l’instance d’appel (cf. ATF 145 III 153 c. 3.2.2 et 3.3.2, note sous art. 106, A. et in newsletter 2019-N10), fixés selon le tarif cantonal (art. 96 CPC). Cependant, l’art. 107 CPC permet de s’écarter des règles de répartition de l‘art. 106 CPC, notamment pour des motifs d’équité (art. 107 al. 1 lit. f CPC). En outre, selon l’art. 108 CPC, les frais causés inutilement doivent être supportés par la personne qui les a engendrés. En l’espèce, le juge semble avoir considéré comme des frais inutiles – car prématurés – les opérations de préparation de la réponse des intimés, et avoir estimé que ces frais avaient été occasionnés par les intimés eux-mêmes, et non par les appelants dont l’avocat avait communiqué le mémoire d’appel aux intimés.
4 La solution donnée est certes soutenable. Il faut cependant relever que dans la même situation, l’OGer/ZH a préconisé une solution différente: qualifiant les démarches effectuées par l’avocat de intimé – soit l’étude du mémoire de recours et sa communication au client – de frais inutiles selon l’art. 108 CPC, il a envisagé de les mettre non pas à la charge de ce dernier, mais à celle de l’avocate qui, au détriment des intérêts de son client, a communiqué à son confrère le mémoire de recours, en considérant qu’elle a ainsi occasionné ces frais (OGer/ZH du 27.8.2012 [LC120025-O/Z01], note sous art. 108, B.2.b.).
5 Le TF pourrait aller dans le même sens que le tribunal zurichois. Dans une situation voisine – où le tribunal, et non le demandeur, avait notifié formellement le mémoire au défendeur, avant que le demandeur ne renonce à effectuer l’avance des frais du procès -, il a jugé que si le tribunal notifie la demande et impartit un délai pour répondre, avant que le demandeur n’ait versé l’avance de frais, le demandeur qui n’effectue finalement pas cette avance ne peut s’en prendre qu’à lui-même – et pas au tribunal, ni à la partie adverse qui a déjà commencé à préparer sa réponse – et doit indemniser le défendeur. Il n’incombe en effet ni au tribunal, ni à la partie adverse, de veiller à épargner au demandeur les frais de démarches – préparation de la réponse – finalement inutiles (ATF 140 III 159 c. 4.2.1, note sous art. 108, B.2.c.). Plus récemment, le TF a encore jugé qu’en principe, l’appelant qui retire son appel – et non l’intimé lui-même – doit prendre en charge les frais de l’appel joint de l’intimé : en effet, c’est bien l’appelant qui a occasionné ces frais, dès lors que l’appel joint n’aurait pas été introduit sans l’appel principal (ATF 145 III 153 c. 3.3-3.4, note sous art. 108, B.1., sous art. 313 al. 2 et in newsletter 2019-N10).
6 Il faut en outre souligner que la communication des actes à un confrère ne figure plus parmi les obligations déontologiques de l’avocat. A l’assemblée de ses délégués du 22 juin 2012, la FSA a abrogé l’art. 25 du Code déontologique (CSD) qui prévoyait la communication directe entre confrères de copies des actes adressés aux autorités judiciaires (cf. notes sous art. 53 al. 1, C.a. et sous art. 312 al. 1). En effet, d’une part, la communication directe n’est pas utile lorsque le tribunal notifiera de toute manière l’acte à la partie adverse – ce qu’il est en principe tenu de faire, pour respecter le droit de celle-ci d’être entendue, cf. notes sous art. 53 al. 1, C.a. ; les dispositions qui permettent au tribunal de déclarer un acte irrecevable ou mal-fondé avant de le notifier à la partie adverse sont réservées (v. art. 253, 312, 322 et 330 CPC). D’autre part, la communication directe d’un acte de recours peut doublement compromettre les intérêts du client. En effet : (1) Le délai pour répondre à l’appel ou au recours au sens strict est un délai légal, qui ne peut pas être prolongé (art. 312 al. 2, 314 al. 1 et 322 al. 2 cum art. 144 al. 1 CPC). Or, si l’avocat du recourant communique son mémoire à la partie adverse avant que le tribunal ne le fasse, il permet à celle-ci de bénéficier sans motifs d’un délai de réponse plus long que le délai légal que son propre client a dû respecter (art. 311 al. 1, 314 al. 1 et 321 al. 1 et 2 cum art. 144 al. 1 CPC); (2) si le mémoire communiqué par l’avocat est retiré, ou déclaré manifestement irrecevable ou infondé, il se posera – comme en l’espèce, précisément – la question de la prise en charge des frais que la partie adverse aura déjà engagés pour préparer sa défense.
7 Selon l’art. 108 CPC, les frais engagés inutilement sont mis à la charge « de la personne qui les a engendrés ». Dans la situation étudiée ici, il n’est pas d’emblée évident de déterminer qui a causé les frais inutiles de l’intimé. Cependant, le principe de causalité, qu’exprime l’art. 108 CPC, fonde de manière plus générale la répartition des frais selon les art. 106 ss CPC. Or comme l’a récemment précisé le TF, le principe résultant de l’art. 106 CPC, selon lequel les frais doivent être répartis selon l’issue du procès, repose sur l’idée que les frais doivent être supportés par celui qui les a occasionnés, étant présumé que c’est la partie qui succombe qui a occasionné les frais (ATF 145 III 153 c. 3.3.1, note sous art. 106, A.). Cette présomption doit à notre avis prévaloir aussi dans l’hypothèse envisagée. Ainsi, même si elle semble sanctionner une attitude confraternelle, l’approche de l’OGer/ZH et – probablement – du TF nous semble plus conforme au système du CPC ; il ne nous semble pas non plus que des motifs d’équité, au sens de l’art. 107 al. 1 lit. f CPC, commanderaient en principe une autre répartition. On peut certes soutenir – comme le fait implicitement le juge soleurois – que l’avocat de l’intimé, qui reçoit copie de l’acte, doit savoir qu’il ne devra déposer de réponse que lorsqu’un délai lui sera fixé à cet effet et que d’éventuels frais engagés auparavant seront peut-être inutiles. Cependant, l’avocat du recourant aussi doit savoir que dans l’intérêt de son propre client, il n’a pas à adresser le mémoire à la partie adverse, la gratifiant ainsi d’une prolongation de délai ; or l’intérêt de son client doit avoir le pas sur la confraternité (qui de plus, ne s’impose plus dans ce contexte, cf. N 6 ; au demeurant, « la confraternité ne doit pas porter atteinte aux intérêts du client », cf. art. 24 al. 2 CSD). En outre, l’avocat qui reçoit le mémoire de son confrère peut difficilement l’ignorer jusqu’à notification formelle de l’acte par le tribunal. L’intérêt de son propre client peut lui commander à tout le moins d’étudier le mémoire communiqué et d’aviser son client, voire de commencer à préparer une réponse, sans attendre le début du délai (légal), p.ex. si la motivation de l’acte comporte des nova ou de nouveaux arguments, pour lesquels l’intimé devra à son tour formuler des allégués et réunir des preuves. Dans ces conditions, il nous semble plus juste de considérer en principe que les frais correspondant à ces démarches sont causés par la partie – voire l’avocat lui-même – qui a communiqué indûment le mémoire au mandataire de la partie adverse, d’autant plus lorsque la fin de la procédure résulte elle aussi de la propre décision du demandeur ou recourant. Dans l’attente d’un éventuel arrêt du TF – qui n’intervient cependant qu’avec grande retenue, dans la mesure où le juge a exercé son large pouvoir d’appréciation -, il faut en tout cas recommander aux avocats de s’abstenir, par prudence, de communiquer leurs mémoires en procédure civile à leur confrère représentant la partie adverse.
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N30, n°…