Art. 1 Suspension des délais
1 Lorsque, en vertu du droit fédéral ou cantonal de procédure applicable, les délais légaux ou les délais fixés par les autorités ou par les tribunaux ne courent pas pendant les jours qui précèdent et qui suivent Pâques, leur suspension commence dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance et dure jusqu’au 19 avril 2020 inclus.
2 Les effets de la suspension sont régis par le droit de procédure applicable.
3 La suspension s’applique aussi aux délais fixés par les autorités ou par les tribunaux avec comme échéance une date précise entre l’entrée en vigueur de la présente ordonnance et le 19 avril 2020.
1 La présente ordonnance entre en vigueur le 21 mars 2020 à 0 h 00 et a effet jusqu’au 19 avril 2020.
Note F. Bastons Bulletti 2020-N9
Le Covid-19, la procédure civile et le praticien (Partie I.)
Sommaire:
(Partie I.)
INTRODUCTION
B. Champ d’application de l’OCF dans les procès civils
B.1. Délais de procédure soumis aux suspensions en période de Pâques
B.2. Délais non visés par l’OCF
a. Délais du droit matériel
b. Délais de procédure non suspendus (art. 145 al. 2 CPC)
C. Champ d’application de l’OCF dans les procédures de la LP
C.1. Suspensions en période de Pâques prévues par la LP
C.2. Champs d’application respectifs de l’OCF et de l’OCF-LP
a. Dans les procédures devant les autorités de poursuite et de surveillance
b. Dans les procédures judiciaires de la LP
D. Effets de l’OCF (art. 1 al. 2 OCF)
D.1. Sur le cours des délais
D.2. Sur la tenue des audiences
E. Délais et audiences dans les procédures civiles non visées par l’OCF (art. 145 al. 2 CPC)
E.1. Délais
a. Délais légaux
b. Délais judiciaires
E.2. Audiences
a. Principes
b. En procédure de conciliation
c. En procédure sommaire
II. MESURES ORDONNEES PAR LES AUTORITES CANTONALES OU LA DIRECTION DE LA PROCEDURE EN RAISON DU COVID-19
A. Mesures relatives aux délais
A.1. Prolongation
A.2. Report de la notification de décisions ou ordonnances d’instruction
B. Mesures relatives aux modes de communication
B.1. Actes adressés aux tribunaux
B.2. Actes des tribunaux
C. Mesures relatives à la tenue et à la publicité des audiences
C.1. Report des audiences
C.2. Publicité et déroulement des audiences
III. RESTITUTION DES DELAIS ET DU DEFAUT (art. 148 s. CPC)
BILAN
INTRODUCTION
1 En quelques semaines, l’épidémie de Covid-19 a transformé la vie sociale et les conditions de travail. La justice civile et les praticiens du droit n’échappent pas à ces bouleversements. Dorénavant, les contacts doivent être évités et le télétravail est recommandé, alors même que les dossiers sont difficilement transportables et que les communications de et avec la justice s’opèrent encore majoritairement par courrier postal. Dans ce contexte, que deviennent les procédures civiles en cours, les délais impartis, les audiences assignées ou à assigner ? Dans l’urgence, la Confédération (I.) et les autorités cantonales (II.) ont pris des dispositions, qui peuvent se résumer en trois lignes directrices: continuation du service public de la justice, particulièrement dans les causes urgentes, respect des normes de sécurité sanitaire et flexibilité. Nous allons exposer ces mesures et les examiner, avant d’étudier les possibilités de restitution en cas de défaut (III).
A. Principe
2 L’ordonnance du Conseil fédéral (OCF) du 20 mars 2020 apporte une première réponse : les suspensions de Pâques sont anticipées. Au lieu de débuter le 5 avril 2020 (7e jour avant Pâques), elles ont lieu dès le 21 mars 2020. En l’état, leur expiration n’est pas modifiée: elles prendront fin le dimanche 19 avril 2020 à 24h, soit le 7e jour après le dimanche de Pâques (ATF 139 V 490 c. 2.2, note sous art. 145 al. 1). Cette disposition, apparemment simple, soulève toutefois des questions quant à son champ d’application dans les procédures civiles à proprement parler (B.) et dans les procédures prévues par la LP (C.), ainsi qu’en ce qui concerne ses effets concrets (D.). Il faut en outre examiner ce que doit et peut faire le praticien, dans le contexte actuel, lorsque l’OCF n’est pas applicable (E.).
B. Champ d’application de l’OCF dans les procès civils
B.1. Délais de procédure soumis aux suspensions en période de Pâques
3 L’OCF vise les délais qui sont soumis aux suspensions (féries) de Pâques « en vertu du droit fédéral ou cantonal de procédure applicable« . Dans la mesure où le droit fédéral de procédure civile prévoit des suspensions à Pâques (art. 145 al. 1 lit. a CPC), l’OCF s’applique aux délais prévus par le CPC, ce que confirme l’intitulé (« Ordonnance sur la suspension des délais dans les procédures civiles et administratives »). L’OCF vise aussi les délais que le droit de procédure cantonal soumet aux suspensions de Pâques. La question peut en particulier se poser pour le cours des délais de procédure en matière de protection de l’adulte et de l’enfant: les dispositions de procédure du Code civil (art. 443 à 450g CC) prévoient certains délais, mais n’en règlent pas le cours. Le droit cantonal peut prévoir que ces délais sont suspendus en période de Pâques ; dans ce cas (uniquement), l’OCF leur est applicable. A défaut de règlementation cantonale, le CPC est applicable par analogie (art. 450f CC), notamment à la suspension des délais. Or, la procédure de protection de l’adulte et de l’enfant est une procédure gracieuse, soumise à la procédure sommaire (art. 248 lit. e CPC) au sens de l’art. 145 al. 2 lit. b CPC. Ainsi, dans la mesure où l’art. 145 CPC, applicable par analogie, règle le cours du délai, celui-ci n’est pas suspendu en période de Pâques (art. 145 al. 2 lit. b et infra N 7b) et l’OCF n’est pas applicable. Il en va toutefois autrement si les mesures de protection de l’enfant doivent être prononcées par un juge, hors d’une procédure sommaire (juge du divorce, art. 315a s. CC; juge de l’action indépendante en entretien, art. 304 al. 2 CPC et newsletter 2019-N24, n. 2 [attraction de compétence]). Dans ce cas, les délais sont soumis à la suspension selon l’art. 145 al. 1 lit. a CPC et ainsi, à l’OCF.
4 L’OCF concerne la suspension des délais. Elle ne traite pas directement d’autres aspects de la procédure civile, tels la notification des décisions, la tenue d’audiences, la publicité des débats (sur les mesures prises par les cantons à cet égard, v. infra N 23 ss.). Toutefois, par ses effets en procédure civile (art. 146 CPC), une suspension des délais affecte aussi, dans une certaine mesure, les notifications et les audiences (infra N 16c et 17).
5 L’OCF vise « les délais légaux ou les délais fixés par les autorités ou les tribunaux ». Elle s’applique ainsi aux délais prévus par la loi (délais légaux, tels p.ex. les délais de recours) comme à ceux que fixe le tribunal (délais judiciaires), même s’il s’agit de délais déjà prolongés, ou de délais de grâce (art. 101 al. 3, art. 223 CPC). L’OCF ne vise pas seulement les délais fixés en jours ; au contraire du CPC, elle contient aussi une disposition particulière (art. 1 al. 3 OCF) concernant les délais à terme fixe impartis par les tribunaux (infra N 16b). Enfin, dans la mesure où les délais exprimés en mois sont aussi soumis aux suspensions selon l’art. 145 CPC (cf. ATF 138 III 610 c. 2.8, note sous art. 142 al. 2 [délai selon l’art. 63 CPC] ; ATF 138 III 615 c. 2, note sous art. 145 al. 2 lit. a [délai de dépôt de la demande selon l’art. 209 al. 3 CPC]), il faut admettre que l’OCF les concerne également.
B.2. Délais non visés par l’OCF
a. Délais du droit matériel
6 L’OCF ne vise pas les délais fixés par le droit matériel (p.ex. les délais de prescription et de péremption du CC ou du CO), dont le comput est réglé par le droit matériel, et non par le droit « de procédure » au sens de l’art. 1 al. 1 OCF (cf. notes sous art. 142, Champ d’application, en part. ATF 143 III 15 [délai pour ouvrir l’action en contestation du congé en droit du bail]). Au demeurant, ces délais peuvent éventuellement être interrompus, mais ne sont ni suspendus à certaines périodes de l’année, ni prolongeables, sauf disposition spéciale (ainsi p.ex., le délai fixé pour introduire l’action en inscription définitive d’une hypothèque légale [art. 961 al. 3 CC] n’est pas suspendu ; il peut en revanche être prolongé, sur requête : ATF 143 III 554 c. 2.5.2, note sous art. 145 al. 1). Le Conseil fédéral n’ayant pas pris de disposition à leur égard, les délais de droit matériel restent inchangés.
b. Délais de procédure non suspendus (art. 145 al. 2 CPC)
7 L’OCF ne vise pas les délais qui ne sont pas suspendus en période de Pâques. Selon l’art. 145 al. 2 CPC, les suspensions de Pâques (et dès lors l’OCF, cf. art. 1 al. 1) ne s’appliquent pas aux délais qui courent:
7a – dans une procédure de conciliation. Il faut toutefois relever que le délai légal pour déposer la demande au tribunal (art. 209 al. 3 et 4 CPC), ainsi que le délai légal pour faire opposition à une proposition de jugement (art. 211 al. 1 CPC), ne font pas partie de la procédure de conciliation (cf. ATF 138 III 615 et ATF 144 III 404, notes sous art. 145 al. 2 lit. a) et sont dès lors suspendus du 21 mars au 19 avril 2020;
7b – dans les procédures sommaires, y compris au stade d’une procédure d’appel ou de recours (ATF 139 III 78 c. 4.4. et 4.5 ; ainsi p.ex., le délai de 10 jours [art. 314 et 321 al. 2 CPC] pour contester une décision rendue en procédure sommaire n’est pas suspendu). Ainsi, un grand nombre d’affaires (mesures protectrices de l’union conjugale, mesures provisionnelles de divorce, autres mesures provisionnelles, protection des cas clairs, juridiction gracieuse, assistance judiciaire, exécution forcée selon les art. 335 ss CPC…) sont exclues du champ d’application de l’OCF (pour les procédures sommaires de la LP v. infra N 13 ; sur les conséquences de cette exclusion, v. infra N 18, 19 et 22).
C. Champ d’application de l’OCF dans les procédures de la LP
C.1. Suspensions en période de Pâques prévues par la LP
8 La LP aussi prévoit des féries en période de Pâques (sept jours avant et sept jours après Pâques, art. 56 ch. 2 LP) et en outre, dans certains cas, des suspensions de poursuite (art. 57-62 LP), qui produisent les mêmes effets que les féries selon l’art. 56 LP (art. 56 ch. 3 et art. 63 LP). Ces effets sont cependant différents de ceux que produisent les suspensions de l’art. 145 al. 1 CPC (infra N 15-17): d’une part, les actes de poursuite sont en principe exclus pendant ces périodes (art. 56 LP ; sur la notion d’acte de poursuite cf. ATF 115 III 6 c. 4 et 5 et autres réf., notes sous art. 145 al. 4 ; pour des ex. v. infra N 13). D’autre part, ces féries et suspensions affectent le cours des délais, mais d’une autre manière que l’art. 145 al. 1 CPC : les délais ne cessent pas de courir, mais s’ils expirent un jour de ces féries ou suspensions, ils sont prolongés jusqu’au 3e jour utile qui suit la fin de celles-ci (art. 63 LP). Selon la jurisprudence – controversée mais constante – du TF, cette prolongation ne concerne toutefois que les délais qui sont déclenchés par un acte de poursuite au sens de l’art. 56 LP (cf. ATF 115 précité ; ATF 143 III 149 c. 2.1 i.f. et réf., note ibid.).
9 Dès lors que l’OCF ne vise que les délais qui « ne courent pas» en période de Pâques (cf. art. 1 al. 1), elle ne concerne d’emblée pas les délais dans les procédures d’exécution auxquelles les art. 56 – 63 LP sont applicables, puisque ceux-là ne cessent précisément pas de courir (art. 63 LP ; supra N 8). En outre, pour ces procédures, le Conseil fédéral a édicté une autre ordonnance, du 18 mars 2020 (OCF-LP ; RS 281.241), qui prévoit une suspension des poursuites au sens de l’art. 62 LP, du 19 mars 2020 à sept heures jusqu’au 4 avril 2020 à 24 heures (cf. note sous art. 145 al. 4). Les féries de Pâques prévues par l’art. 56 ch. 2 LP sont ainsi anticipées : les délais déclenchés par un acte de poursuite et expirant entre le 19 mars et le 19 avril 2020 sont prolongés jusqu’au mercredi 22 avril 2020 à 24 h (sous réserve d’une nouvelle suspension, soit prononcée selon l’art. 62 LP, soit prévue par les art. 57 à 61 LP). En outre, du 18 mars 2020 à 20 heures au 20 avril à 7 heures, il ne peut être procédé à aucun acte de poursuite (art. 56 ch. 1 et 3 LP).
C.2. Champs l’application respectifs de l’OCF et de l’OCF-LP
10 Dans les procédures d’exécution selon la LP, les art. 56 à 63 LP, et ainsi, l’OCF-LP, ne sont cependant pas toujours applicables. Bien plus, l’art. 145 CPC et l’OCF peuvent trouver application. Dès lors qu’il en résulte d’importantes différences (supra N 8-9), il faut délimiter le champ d’application respectif de ces dispositions. Cette délimitation, qui n’est pas toujours aisée, impose des distinctions.
a. Dans les procédures devant les autorités de poursuite et de surveillance
11 En principe, la procédure d’exécution selon la LP relève des autorités de poursuite ou de surveillance. Cette procédure (p.ex. la notification d’un commandement de payer, la saisie, la procédure de plainte selon l’art. 17 LP) est réglée par la LP et non par le CPC. L’art. 31 LP renvoie certes aux art. 142 ss CPC pour le comput et l’observation des délais, mais sous réserve de dispositions contraires de la LP. Or s’agissant de la suspension des délais, les art. 56 à 63 LP constituent des dispositions contraires, que l’art. 145 al. 4 CPC réserve d’ailleurs expressément. Par conséquent, dans ces procédures, l’OCF-LP est applicable, à l’exclusion de l’art. 145 CPC et de l’OCF (cf. pour la procédure de plainte de l’art. 17 LP, ATF 141 III 170 c. 3, note sous art. 1 lit. c et sous art. 145 al. 3).
b. Dans les procédures judiciaires de la LP
12 Au cours de la procédure d’exécution, la LP confie toutefois au juge certaines matières (p.ex. mainlevée, action en libération de dette, faillite, action révocatoire, etc.). Ces procédures judiciaires sont réglées par le CPC (art. 1 lit. c CPC). Ainsi, dans les procédures judiciaires de la LP, la règlementation des délais relève du CPC (art. 142 ss CPC). Or, en ce qui concerne les féries, l’art. 145 al. 4 CPC contient une réserve en faveur des « dispositions de la LP sur les féries et la suspension des poursuites ». La portée de cette réserve n’est pas évidente, alors même qu’elle implique un régime fort différent: si le délai est soumis aux féries et suspensions selon les art. 56-63 LP, l’OCF-LP est applicable (supra N 9) ; si au contraire le délai est soumis aux suspensions selon l’art. 145 al. 1 CPC, l’OCF est applicable (sur les effets de cette application v. infra N 15-17). Sur cette question délicate, le TF a prononcé un arrêt de principe (ATF 143 III 149 c. 2.4.1 – 2.4.2, note sous art. 145 al. 4 et note M. Heinzmann in newsletter du 26.4.2017), qui peut être résumé ainsi:
13 – Les procédures judiciaires de la LP soumises à la procédure sommaire (art. 251 CPC ; p.ex. la procédure de mainlevée, de faillite, de séquestre, d’opposition pour non-retour à meilleure fortune selon l’art. 265a al. 1 à 3 LP…) ne sont de toute manière pas concernées par les suspensions prévues par l’art. 145 al. 1 (art. 145 al. 2 lit. b ; supra N 7b) ni, par conséquent, par l’OCF. En revanche, le TF semble soumettre les délais qui courent dans ces procédures aux féries et suspensions selon les art. 56 à 63 LP (ATF 143 III 149 précité, c. 2.4.1.1). Dans cette mesure, l’OCF-LP leur est applicable. Ainsi, p.ex., s’il expire entre le 19 mars et le 19 avril 2020, un délai pour se déterminer sur une requête de mainlevée, ou le délai de recours (de 10 jours, art. 321 al. 2 CPC) contre une décision de mainlevée, se trouve prolongé jusqu’au 22 avril 2020 à 24h (cf. ég. ATF 115 III 91 c. 3a, note sous art. 145 al. 4 ; dans ce sens ég. D. Wuffli, Vorsicht, Feiertage!, in Jusletter du 24.4.2017, N 35 s.). A défaut de précisions claires du TF sur ce point, la prudence est toutefois recommandée. En outre, dans la mesure où les actes de poursuite ne peuvent être opérés pendant les suspensions et féries, entre le 18 mars 2020 à 20 h et le 20 avril 2020 à 7 h, le juge ne peut pas, p.ex., citer les parties à une audience de mainlevée ou de faillite, voire fixer un délai de détermination sur une requête de mainlevée (cf. ATF 138 III 483 c. 3.1.1 et 3.1.2; TF 5A_120/2012 du 21.6.2012 c. 3.2, notes ibid.: question laissée ouverte), prononcer une décision de mainlevée (ATF 138 III 483 c. 3.1.1., note ibid.) ou de faillite (TF 5P.156/2001 du 9.7.2001 c. 3b; y compris de faillite sans poursuite préalable), ou notifier une décision de mainlevée (ATF 138 III 483 c. 3.1.1, note ibid.). Il peut en revanche statuer sur une requête de séquestre (art. 56 i.i. LP). S’ils sont néanmoins opérés, ces actes ne sont en principe pas nuls, ni annulables ; leurs effets sur les délais sont simplement reportés au jour suivant la fin des féries (ATF 121 III 284 c. 2), soit au 20 avril 2020.
14 – Pour les procédures judiciaires de la LP soumises à la procédure ordinaire ou simplifiée (p.ex. l’action en reconnaissance ou en libération de dette, l’action en contestation de l’état de collocation), il faut distinguer:
14a — les délais prévus par la LP pour introduire la litispendance sont également soumis aux féries et suspensions selon les art. 56-63 LP et sont ainsi visés par l’OCF-LP, s’ils sont déclenchés par un acte de poursuite (v. supra N 8 i.f.). Tel est p.ex. le cas du délai pour introduire l’action en libération de dette, l’action en revendication, l’action en participation à la saisie ou l’action en validation du séquestre (cf. ATF 143 III 38 c. 3, note sous art. 145 al. 4), mais non l’action en contestation de l’état de collocation dans la faillite (art. 250 LP), le délai n’étant pas déclenché par un acte de poursuite au sens de l’art. 56 LP (contra TC/VD du 15.1.2013 [2013/31] c. 3c et 3d, note sous art. 145 al. 4). Si p.ex. le délai légal pour introduire action en libération de dette (20 jours dès la notification de la décision de mainlevée provisoire, art. 83 al. 2 LP et ATF 143 III 38 c. 2.3, notes sous art. 142 al. 1 et sous art. 145 al. 4) expire entre le 19 mars et le 19 avril 2020, il est prolongé jusqu’au 22 avril 2020 à 24h ;
14b – en revanche, une fois la litispendance créée, les délais légaux et judiciaires sont exclusivement soumis à la réglementation du CPC, de sorte que l’art. 145 al. 1 CPC et l’OCF sont applicables. Dès lors, p.ex., un délai de recours contre la décision relative à une action en libération de dette, ou contre la décision rejetant une action en constat du retour à meilleure fortune (art. 265a al. 4 LP; cf. ATF 143 III 149 précité, c. 2.4.2), est suspendu du 20 mars au 19 avril 2020 (sur les effets de cette suspension v. infra N 15-17).
D. Effets de l’OCF (art. 1 al. 2 OCF)
15 Pour les effets de la suspension qu’elle prévoit, l’OCF renvoie au droit de procédure applicable, soit en procédure civile, aux art. 145 et 146 CPC. Il en résulte des conséquences sur le cours de délais et sur la tenue des audiences.
D.1. Sur le cours des délais
16a Du 21 mars au 19 avril 2020 inclus, les délais en jours, voire en mois, légaux ou judiciaires, sont suspendus et ne courent pas. Ainsi p.ex., un délai de 30 jours dont le cours a débuté le mardi 25 février 2020 expirera non pas le mercredi 25 mars 2020, mais le vendredi 24 avril 2020 à 24 h. Un délai d’un mois qui a débuté le mardi 25 février 2020 à 0h00 expirera à notre avis non pas le mardi 24 mars 2020 à 24 h (v. notes sous art. 142 al. 2, en part. ATF 144 III 152, note M. Heinzmann in newsletter du 21.3.2018, et ATF 144 IV 161, note in newsletter du 13.6.2018), mais le jeudi 23 avril 2020 à 24h (19 avril à 24h00, moment de la fin des suspensions, plus 4 jours de suspension, écoulés entre le 21 et le 24 mars inclus). Enfin, le 19 avril 2020 étant un dimanche, un délai qui expirerait à cette date, ou la veille (samedi), est prolongé jusqu’au lundi 20 avril 2020 à 24h (art. 142 al. 3 CPC). Pour les délais judiciaires, ces suspensions ne font pas obstacle à une éventuelle prolongation au-delà de ces dates (art. 144 al. 2 CPC ; infra N 24).
16b En ce qui concerne les délais à terme fixe impartis par les tribunaux (supra N 5), selon l’art. 1 al. 3 OCF la suspension s’applique aussi, si l’échéance de ce délai se situe entre le 21 mars et le 19 avril 2020. En conséquence, l’échéance d’un délai imparti p.ex. jusqu’au mercredi 25 mars est reportée au lundi 20 avril 2020 à 24 h (dès lors que le 19.4.2020 est un dimanche), ce qui équivaut à une prolongation. A notre avis, faute de précision analogue à celle qui se trouve à l’art. 63 LP (cf. supra N 8), l’échéance n’est pas reportée au-delà de cette date. Enfin, un délai à terme fixe imparti pour une date située après le 19.4.2020 n’est en rien modifié. Dans tous les cas, le juge peut encore accorder une prolongation supplémentaire, aux conditions de l’art. 144 al. 2.
16c En l’absence de disposition contraire, les suspensions n’empêchent pas les notifications (art. 136-141 CPC). Cependant, si une notification opérée pendant la durée des suspensions fait courir un délai, légal ou judiciaire (p.ex. notification d’une demande avec un délai pour répondre ; notification d’une décision motivée, qui déclenche un délai de recours cantonal), ce délai débutera non pas le lendemain de la notification (règle de l’art. 142 al. 1 CPC), mais seulement le jour qui suit la suspension, soit le lundi 20 avril 2020 à 0h (art. 146 al. 1 CPC ; le fait que le dernier jour des féries soit un dimanche n’a pas d’influence sur le début du cours du délai, cf. art. 142 al. 3 CPC a contrario). Une nouvelle OCF prolongeant la durée des féries de Pâques, ou une prolongation du délai judiciaire (art. 144 al. 2 CPC), est évidemment réservée.
D.2. Sur la tenue des audiences
17 Les féries n’affectent pas seulement le cours de délais, mais aussi la tenue des audiences : pendant les suspensions, celles-ci ne peuvent avoir lieu, à moins que toutes les parties n’y consentent (146 al. 2 CPC). Dès lors que l’art. 1 al. 2 OCF renvoie aussi à l’art. 146 al. 2 CPC (supra N 15), les audiences fixées entre le 21 mars et le 19 avril 2020 dans les procédures civiles ne pourront avoir lieu sans l’accord des parties (sauf en procédure de conciliation et dans les procédures sommaires : infra N 20 s.). Si les parties acceptent la tenue d’une audience, cet accord est en principe irrévocable ; néanmoins, en cas de changement de circonstances (p.ex. survenance d’une maladie ou d’une quarantaine), un report de l’audience (art. 135 CPC) reste possible, selon l’appréciation du juge. Si une audience est maintenue, ou fixée, sans l’accord (de l’une) des parties, un plaideur qui n’y comparaît pas ne pourra pas, à notre avis, être considéré comme défaillant et l’audience devra être reportée. Une éventuelle décision prononcée par défaut (art. 234 CPC) pourra en tout cas être annulée, sur appel ou recours.
E. Délais et audiences dans les procédures civiles non visées par l’OCF (art. 145 al. 2 CPC)
E.1. Délais
a. Délais légaux
18 Dans les procédures de conciliation et les procédures sommaires, les délais légaux (p.ex. le délai d’appel ou de recours contre une ordonnance de mesures provisionnelles ou protectrices de l’union conjugale, 10 jours) courent toujours. En outre, ils ne peuvent pas être prolongés (art. 144 al. 1 CPC), mais tout au plus restitués, aux conditions de l’art. 148 CPC (infra N 30). Pour tenir compte de la situation actuelle, les tribunaux peuvent cependant renoncer à notifier certaines décisions motivées non urgentes, de sorte que le délai légal de recours ne commence pas à courir (cf. art. 311 al. 1 et 321 al. 1 CPC) ; certains cantons l’ont recommandé aux magistrats (cf. infra N 25) et les parties peuvent en tout cas en faire la requête. Si la notification a néanmoins lieu, les parties et leurs avocats ne peuvent pas la refuser. L’art. 138 CPC reste applicable et la fiction de notification interviendra aux conditions de l’art. 138 al. 3 CPC. Le délai doit alors être observé, sous peine de déchéance. Si pour préparer un acte (p.ex. un appel), des pièces nouvelles recevables (art. 317 al. 1 CPC) doivent être produites mais ne sont pas accessibles, les plaideurs seront avisés de le préciser dans le mémoire déposé à temps et d’annoncer leur production ultérieure, voire de réserver la formulation ultérieure d’allégués, si le contenu de ces pièces n’a pas pu être vérifié. Ces productions et allégués ultérieurs pourront encore être considérés comme recevables, dès lors qu’au vu des circonstances, ils auront néanmoins été présentés « sans retard » au sens de l’art. 317 al. 1 lit. a CPC.
b. Délais judiciaires
19 Les délais judiciaires peuvent être prolongés, mais seulement sur requête, déposée avant leur expiration (art. 144 al. 2 CPC ; cf. cep. infra N 24). La prolongation suppose des motifs suffisants, laissés à l’appréciation du juge, qui pourra se montrer généreux dans les circonstances actuelles. Néanmoins, surtout dans les procédures sommaires de caractère urgent, la requête de prolongation doit être suffisamment motivée. A cet égard, une référence générale à l’épidémie en cours, sans exposer en quoi une prolongation est nécessaire in concreto, pourrait être insuffisante (cf. TF 5D_21/2013 du 28.5.2013 c. 5.1.1- 5.1.2, note sous art. 144 al. 2, A.), surtout s’il ne s’agit pas d’une première prolongation et a fortiori, s’il a déjà été précisé que le délai ne sera pas prolongé. En cas de refus, le plaideur n’obtiendra au mieux qu’un court délai de grâce (sur ces questions cf. notes sous art. 144 al. 2, en part. note in newsletter 2019-N13). Dans le doute, la prudence impose de ne pas attendre le dernier jour du délai pour requérir la prolongation. Les délais non prolongés et non observés ne pourront être restitués qu’aux conditions de l’art. 148 CPC (infra N 30).
E.2. Audiences
a. Principes
20 Même pendant les suspensions, les audiences prévues en procédure de conciliation et en procédure sommaire doivent en principe avoir lieu (sur les exceptions dans les procédures sommaires de la LP, où les actes de poursuite sont prohibés pendant les féries, cf. supra N 13 ; sur les aménagements et précautions envisagés par les autorités cantonales cf. infra N 29). Le plaideur qui n’y comparaît pas et n’y est pas représenté doit être considéré comme défaillant.
b. En procédure de conciliation
21 En procédure de conciliation, la tenue d’une audience est obligatoire (TF 4D_29/2016 du 22.6.2016 c. 5, note sous art. 204). Un report peut toutefois être requis, ou prononcé d’office, pour des motifs suffisants (art. 135 CPC). Aussi longtemps que les contacts doivent être évités (v. not. art. 6 al. 4, 7c et 10b Ordonnance 2 COVID-19 du 13.3.2020, RS 818.101.24), ce report se justifie dans la plupart des cas, étant souligné que les affaires les plus urgentes sont de toute manière soustraites à la procédure de conciliation (procédure sommaire, art. 198 lit. a CPC) ; le délai de 2 mois selon l’art. 203 al. 1 CPC étant un délai d’ordre, il ne fait pas obstacle à ce report. Si l’audience n’est pas reportée, les parties peuvent demander d’être dispensées de comparution personnelle, l’audience ayant alors lieu, mais en présence de leur représentant (cf. notes sous art. 204 al. 3 CPC). Cette dispense doit en tout cas être accordée aux personnes malades ou vulnérables (art. 204 al. 3 lit. b CPC). Si l’audience a lieu et que le demandeur – ou en cas de dispense, son représentant – ne comparaît pas, la cause sera rayée du rôle (art. 206 al. 1 CPC), ce qui peut entraîner la péremption du droit matériel invoqué (étant rappelé que les délais péremptoires du droit matériel ne sont pas suspendus, supra N6; cf. notes sous art. 206 al. 1 et 3, en part. TF 4C_1/2013 du 25.6.2013 c. 4). Une restitution du défaut est cependant possible, aux conditions de l’art. 148 CPC (arrêt précité, ibid. ; infra N 30), de même qu’un recours au sens strict contre la radiation du rôle, si un droit matériel est perdu (cf. notes ibid., en part. TF 4A_131/2013 du 3.9.2013 c. 2.2.2.2 et autres réf.).
c. En procédure sommaire
22 En procédure sommaire, le juge peut en principe statuer sans débats (art. 256 al. 1 CPC) et dans les circonstances actuelles, pourra faire un usage large de cette possibilité de décider « sur dossier ». Cette règle ne concerne cependant pas la plupart des procédures sommaires du droit de la famille (art. 273 al. 1, 276 al. 1, 2e phr., art. 297 CPC). Sauf cas exceptionnel (art. 273 al. 1 2e phr. CPC), une audience doit avoir lieu ; le juge peut tout au plus dispenser le(s) conjoint(s) de comparution personnelle, notamment pour des motifs de santé ou d’âge (art. 273 al. 2 CPC). Dans les affaires non particulièrement urgentes, en cas d’empêchement, le report de l’audience (art. 135 CPC) semble la meilleure option. Même dans les affaires urgentes, on peut envisager ce report, accompagné au besoin du prononcé de mesures superprovisionnelles (art. 265 CPC) ou de mesures provisoires intermédiaires après détermination écrite des parties (cf. notes sous art. 271, A.) ; ces mesures peuvent même être prononcées d’office, s’il s’agit du sort d’enfants mineurs (art. 296 al. 3 CPC). Si néanmoins une audience a lieu, le plaideur qui ne comparaît pas et n’est pas représenté risque une décision par défaut (art. 234 cum art. 219 CPC), du moins si la maxime des débats est applicable (cf. notes sous art. 256 al. 1, A. ; ég. TF 4A_218/2017 du 14.7.2017 c. 3.1.1 [procédure de protection des cas clairs]). Une restitution est cependant envisageable (art. 148 CPC ; infra N 30).
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2020-N9, n°…